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18 mai 2019 6 18 /05 /mai /2019 21:39

Les mois suivants ont été consacrés à ma rééducation. Patiemment, Laëth me massait pour évacuer le sonodor de ma jambe. Patiemment, elle m'accompagnait en ville. J'étais bien conscient de ma désespérante lenteur et tentais parfois d'y remédier.

-Inutile de te précipiter, Luc. Le sonodor ne s'évacuera pas plus vite.

En échange de ses bons soins, je l'aidais à l'intendance de la maison. Une attitude qui ne me serait jamais venu à l'esprit dans mon manoir. Je me sentais changer, je voyais le nouveau Luc émerger peu à peu au contact de la Rebouteuse. Et j'avais beaucoup plus de respect pour ce nouvel homme que je n'en éprouvais pour l'ancien. Les habitants d'Amôn Dhin s'habituaient peu à peu à ma présence. Bien entendu, il en restait toujours pour me regarder de travers. Il y en a toujours. J'étais étonné par le nombre de personnes qui venaient consulter la Rebouteuse. Elle soignait chaque blessure, chaque maladie que l'on lui présentait. Je la regardais mélanger les plantes pour les tisanes ou les emplâtres, fabriquer les onguents. Les potions mijotaient dans le chaudron, répandant leurs odeurs dans toute la maison. Toute un coin de mur était rempli de pots de plantes ou d'onguents. Parfois, je contemplais les pots ornés d'étiquettes indéchiffrables. L'écriture elfique était certes magnifique, mais elle m'était incompréhensible. J'allais devoir remédier à cette lacune si je voulais rester à Amôn Dhin. Le fait n'avait jamais été évoqué , mais cela me paraissait assez évident. Sans compter que cette langue me fascinait. J'abordais le sujet avec Laëth lors d'une de nos sorties.

-Je serai ravie de t'enseigner ma langue, Luc.

-Je veux bien apprendre tout ce que tu voudras bien m'enseigner... Dis-moi , tu étais sincère l'autre jour quand tu as parlé avec le bailli de mes dons de guérison ?

La question m’intriguait depuis notre rencontre avec Thomasson. Je n'avais pas osé en discuter avec elle. Peur qu'elle ait dit cela par pitié. Ou peur qu'elle ait raison.

-Ecoute-moi, Luc. Il faut que tu comprennes que je ne mens jamais. Ma parole vaut de l'or dans beaucoup d'endroits et mon nom ouvre bien des portes.

Aucun orgueil dans sa voix, juste l'évocation d'une vérité. Je hochais simplement la tête. J'allais au fil du temps vérifier l'authenticité de ces dires.

-Tu ne t'en es sans doute pas rendu compte ce jour-là, mais tu as réellement fait usage de dons de guérison pour réduire mon entorse. Ma déclaration au bailli était sincère.

Elle m'a laissé méditer ses paroles tandis que nous approchions du chemin menant à la maison. C'est alors que nous avons vu courir vers nous un adolescent portant un tablier de cuir. Son air paniqué a alarmé Laëth qui s'est hâtée vers lui. C'était Somah, fils et apprenti de Kaaminh, le forgeron. En quelques phrases où on sentait la peur, le jeune homme a expliqué que son père venait de tomber de l'escalier dans son logis. La maison était attenante à la forge, comme un prolongement de celle-ci. Sans un mot, Laëth s'est élancée vers la maison, Somah et moi même à sa suite. Le forgeron gisait sur le dos, immobile.

-Somah, donne-moi de l'eau.

Le jeune homme s'est empressé d'obéir, le visage blafard et les traits tirés. Avec précaution, elle a baigné le visage du forgeron jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux.

-Laisse-toi faire, Kaaminh. C'est moi.

Avec l'aide de son fils, nous l'y avons transporté le forgeron sur son lit, derrière l'escalier. Sur l'ordre de Laëth, nous l'avons déposé sur le ventre.

-Je dois examiner ton dos.

-Je le sais bien. Fais ce que tu as à faire.

-Dis-moi où tu as mal.

Avec une dague, elle a déchiré la chemise épaisse du forgeron. Puis elle m'a demandé d'attiser le feu. Après avoir reçu des instructions de la Rebouteuse, Somah est parti en trombe. La peau pâle du forgeron était marbrée de rouge. Elle a palpé doucement sa chair, guettant les réactions du blessé. Il frissonnait sous la pression de ses doigts. La mine de Laëth est devenue grave lorsque ses doigts ont frôlé une légère bosse. C'est à ce moment-là que l'adolescent est revenu, porteur d'un panier rempli de bocaux. Je me suis empressé d'obéir à son ordre de faire bouillir de l'eau, sans poser de question, tellement sa mine préoccupée m'inquiétait. Avec des gestes sûrs, elle dosait les différentes substances contenues dans les pots, les mélangeant dans une écuelle tout en psalmodiant, et lorsque l'eau a été assez chaude, elle a transformé le mélange en une pâte épaisse et vaguement marron.

-Kaaminh, écoute-moi bien. Je vais être obligée de te faire mal. Vraiment mal. Il va falloir que je te remette le dos en place.

-D'accord, Laëth, ne t'en fais pas pour moi. Fais ce que tu as à faire. Je te fais confiance.

La Rebouteuse nous a alors expliqué la part active que nous allions jouer dans les soins au forgeron. Son fils a soudain commencé à trembler à l'évocation de son rôle.

-Somah, j'ai besoin de toi. Ton père a besoin de toi. Il n'y a pas d'autre solution.

-Mon fils, obéis à la guérisseuse. S'il te plaît.

Malgré un visage tendu par la peur, l'adolescent a opiné du chef. Maintenant que je savais où regarder, je ne pouvais quitter cette bosse des yeux. Le forgeron devait avoir mal, incroyablement mal. Pourtant, il ne se plaignait pas. Il rassurait son fils effrayé au lieu de hurler de douleur. Ce dernier a fini par prendre courage et par accomplir sa part, à savoir tirer les bras de son père. Quant à moi, je m'occupais de tirer ses pieds. Écartelé de la sorte, le forgeron a gémi sous les tension. C'est alors que Laëth a posé la paume de sa main, tendue elle aussi, psalmodiant toujours et ...

CRAAACK !!!

Le bruit de la vertèbre revenant à sa place a été horrible. Mais plus horrible encore a été le hurlement de douleur pure du forgeron. Sa peau s'est aussitôt couverte de sueur, collant ses cheveux dans son dos. Nous l'avons lâché tout de suite, alarmés, effrayés par cette souffrance brute. Quant à Laëth, elle portait toute son attention à Kaaminh, palpant son dos avec une infinie douceur. Je priais en silence pour que nous ne soyons pas obligé de recommencer, car je n'étais pas certain d'en être capable à nouveau. Son examen a paru la satisfaire. Elle a alors pioché dans le panier une large bande de tissus ainsi qu'un carré de toile de dimension moyenne. Le pot d'onguent posé tout près dégageait une odeur de terre et de fleurs. Nous avons aidé Kaaminh à se mettre sur le dos avec douceur. Elle a aidé le forgeron à s’asseoir; la manœuvre a été longue et compliquée. Voir son père bouger rassurait Somah et il reprenait quelques couleurs. Puis elle a déposé une dose généreuse d'emplâtre à l'endroit où la vertèbre avait été repositionnée. Elle a fixé le carré de toile et a enroulé la bande de tissus autour de la taille du forgeron. Il serrait les dents; il voulait faire bonne figure devant son fils. Lorsqu'il a été serré dans ses bandages, Laëth l'a fait se rallonger. Il a obéi sans protester.

-Merci à toi, Laëth.

-Tu restes chez toi au moins une semaine. Tu te reposes, compris ?

Il a hoché la tête, un sourire fatigué sur le visage. Je sentais une complicité entre ces deux personnes. Kaaminh regardait la Rebouteuse avec un respect mêlé de tendresse. Quant à elle, elle semblait familière des lieux. Tandis que l'eau bouillait sur le feu, elle mélangeait le contenu de deux autres pots dans un pichet en terre. Somah l'observait, fasciné. Elle a fini par verser le breuvage sombre dans un bol et le tendre au convalescent. Il a grimacé un peu, mais a bu la totalité du breuvage sans commenter. Après avoir donné des instructions à Somah et des recommandations à son père, elle les a quitté, ma personne sur les talons.

 

La journée s'est écoulée paisiblement, les semaines aussi. Laëth rendait visite au forgeron plusieurs fois par jour, prenait soin de vérifier l'état de son dos. Il est très difficile de déterminer l'âge d'un Elfe, aussi estimerais-je à 16 ans l'âge de Somah au moment où je l'ai rencontré. Mais en le voyant forger à la place de son père, je restais dubitatif. Il avait le visage fin et un air déterminé qui interdisait toute féminisation. Ses cheveux étaient aussi sombres que ceux de son père étaient blonds. Sans doute un héritage de sa mère. J'étais sorti seul me promener, je commençais à connaître la ville basse et Laëth était sortie en forêt cueillir des plantes. L'hiver était encore bien présent et j'ignorais quelles plantes elle espérait récolter en cette saison. Secret de Rebouteuse. Il neigeait un peu, le froid me mordait les joues mais j'avais envie de voir cette belle ville sous la neige. Hélas tous les habitants de la cité ne parlaient pas ma langue et les rudiments que j'avais appris avec Laëth me permettait juste de comprendre l'essentiel. Elle avait commencé sa requête pour mon droit de séjour dans la ville; j'avais également commencé ma partie. J'avais recommencé à plusieurs reprises tant je cherchais à exprimer au mieux mon envie de rester. Je faisais état de mes compétences avec précision, dans le vif désir d'être utile à cette communauté. Je voyais parfois Laëth aligner ces belle lettres elfiques en une missive qui allait sceller mon avenir dans cette ville. Sur ma demande, elle avait commencé à m'enseigner sa langue. Mes années de latin et de grec se sont avérés étonnamment utiles.

-Vos langues humaines dérivent toutes de la mienne. Plus la langue est ancienne, plus la source est proche.

Effectivement, parler la langues des Elfes m'est apparu plus facile que de l'écrire. La principale difficulté résidait dans le sens de l'écriture, opposé à celui qui m'est naturel.

 

Je croisais parfois le bailli lors de mes promenades. Il venait alors me saluer et nous échangions quelques mots sous le regard curieux des passants. Il tenait à me parler dans ma langue, qu'il maîtrisait suffisamment pour être compris et se faire comprendre. Il a paru surpris d'apprendre que Laëth m'enseignait sa langue. Il en a eu confirmation un soir alors qu'il venait rendre visite à la Rebouteuse.

-Bonsoir, Thomasson. Que me vaut ce plaisir ?

Je la sentais méfiante. Le bailli n'était pas homme à faire des visite de courtoisie. Il a posé son manteau et a accepté volontiers la tasse de bouillon que Laëth lui proposait. Il a pris des nouvelles du forgeron. Je travaillais sur mes lettres, m’entraînant à recopier les livres de Laëth. Il m'a interrogé sur ma progression, ma motivation. Puis il a discuté avec la Rebouteuse, usant de la Belle Langue. J'ai compris qu'il la questionnait sur mon apprentissage. Ses coups d’œil en coin à mon endroit ne m'ont pas échappé.

-Ne doutez pas de mon envie de rester.

J'avais mobilisé mes connaissances dans cette langue pour lui parler. Il a paru surpris.

-Ainsi donc, vous apprenez bel et bien notre langue ?

Impossible de savoir s'il était satisfait ou non de son constat. Bien vite, il a trouvé un prétexte pour partir. Laëth souriait tandis que la porte se refermait sur le bailli.

 

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