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5 avril 2020 7 05 /04 /avril /2020 13:30

Mon sommeil a été paisible et sûrement peuplé de visions de cette magnifique célébration. Quoi qu'il en soit, je me suis réveillé reposé et serein. Comme Laëth était occupée à confectionner des baumes et autres potions, je décidais de sortir profiter des décorations de la ville. Je croisais en chemin Kaaminh, revenant de livrer une pièce d'arme à la caserne. Il s'était bien remis de son accident, suivant scrupuleusement les instructions de la Rebouteuse.

-C'est bien une des rares personnes que j'écoute. En dehors de mon Roi et de ma Reine, bien entendu.

J'ai regardé cet Elfe posté en face de moi. Comme beaucoup d'entre eux, il était à la fois mystérieux et transparent. Il exprimait des sentiments puissants avec une simplicité désarmante.

-Je suis heureux que vous alliez mieux. J'ai eu très peur pour vous.

-Je dois tout aux soins attentifs de Laëth. J'ai juste obéi à ses instructions. Laëth est une grande guérisseuse. Vous avez beaucoup de chance de vivre à ses côtés.

Sa remarque m'a laissé sans voix. Nous nous sommes quittés sur cette confession, Kaaminh rejoignant sa forge d'un pas alerte. Je réalisais, tout à coup, au court de cette promenade que j'étais dans cette cité depuis plusieurs mois. Ma fuite de la demeure paternelle datait de décembre. En effet, mes noces devaient avoir lieu quelques jours avant Noël. En dépit de l'insistance de mon père, le curé avait refusé de célébrer ces noces le jour de la Naissance du Sauveur.

 

Le calendrier elfique était bien différent du mien, je l'avais réalisé en lisant le livre que Laëth m'avait prêté. La Saga Sacrée établissait, par exemple, le nouvel an au cœur de l'automne. J'avais essayé vainement d'établir une correspondance avec le calendrier en cours parmi les mien. Je continuais ma promenade, m'arrêtant parfois pour admirer les motifs qui ornaient les bannières des rues. Certaines devises dépassaient mes compétences linguistiques, mais il devait s'agir de bénédictions. Je songeais au prêtre masqué laissé seul la veille dans le temple. Y était-il encore ? Ma promenade m'a conduit près de la rivière, la Sonorone, qui chantait à travers la ville et qui longeait un parc où jouaient des enfants, sous l’œil vigilant de leurs mères ou de leurs nourrices. Je me suis assis sur un banc, profitant du calme de l'endroit et de la douceur de l'air. Les enfants se sont tout de suite intéressés à moi, m'observant de loin, réunis en conciliabule. Les femmes ne semblaient pas se préoccupées de ma personne, mais surveillaient étroitement leurs progénitures. Lorsque l'un d'entre eux s'est approché de moi, soit plus courageux, soit missionné par ses camarades, la vigilance des femmes s'est accrue. J'ai répondu au sourire candide qui éclairait son joli visage et ses grands yeux verts. Ses boucles sombres flottaient dans le vent. Je suis resté coi lorsqu'il m'a posé sa question. N'articulant pas suffisamment pour que je comprenne, j'étais incapable de lui répondre. Voilà ce que je lui ai expliqué avec un grand sourire, ne voulant pas vexer le bambin. Je maîtrisais suffisamment les bases de cette langue pour tenir une conversation simple, mais hélas pas suffisamment bien pour déchiffrer les babillements d'un enfant. Il s'est rapproché d'une des femmes et, tout en me désignant du doigt, lui a parlé d'un air peiné. La riposte n'a pas tardé ; elle s'est dirigée vers moi, sous l’œil des autres, son enfant à la main, la mine mécontente.

-Pourquoi ne voulez-vous pas lui répondre ?

-Je suis vraiment désolé mais... je n'ai pas compris...

-Je sais qui vous êtes. Vous habitez chez la Rebouteuse. Pourquoi ne pas répondre à mon fils ?

-Je... hé bien... je n'ai pas compris sa question, c'est tout. C'est ce que je lui ai dit. Enfin, je crois.

Elle m'a regardé un long moment, et, me jugeant sans doute sincère, elle s'est calmée.

-Mon fils voulait savoir ce que vous aviez fait à vos oreilles. Leur forme l'intrigue.

Je n'ai pu m'empêcher de sourire. Certes, mes cheveux avaient poussé depuis décembre, cependant mes mèches laissaient encore voir mes oreilles. Elles étaient aussi rondes que celles de la population d'Amôn Dhin étaient pointues.

-Je ne suis pas un Elfe comme toi, bonhomme.

Le garçon m'a regardé, surpris, et a parlé à sa mère.

-Il veut savoir ce que vous êtes alors ?

-Je suis un Homme.

Une chance que Laëth, prévoyante, m'avait appris ce mot. Et surtout sa forme la moins péjorative, car dans de nombreux contes, homme était synonyme de destructeur. Je ne pouvais, hélas, ne pas être en accord avec cette assertion.

 

J'occupais ma journée, la remplissait en attendant le soir. Mon esprit était tout entier tourné vers la seconde procession. Ce soir verrait défiler les prêtresses. Laëth m'avait paru songeuse toute la journée. Elle avait cuisiné le déjeuner en chantonnant d'étranges mélopées. À mon retour du parc, encore amusé par ma rencontre avec les bambins, je trouvais le logis vide. Une note sur la porte informait qu'elle était partie au Temple. Sceptique, j'ai fait réchauffer les restes de ragoût aux herbes et résolu de manger seul. À la nuit tombée, je suis sorti et j'ai suivi la foule jusqu'au passage de la seconde procession. J'ai retrouvé Kaaminh et son fils, souriants. Une fois encore, la foule était immense. Je cherchais Laëth des yeux, mais c'était voué à l'échec, au vue du monde qui se pressait sur le tracé du cortège. La nuit tombait doucement, accueillie par des flambeaux dans les rues et les bougies sur les fenêtres. Puis, au loin s'est fait entendre un son cristallin, bien différent de la voix grave des tambours de la veille. Une brise légère apportait jusqu'à nous des effluves de fleurs et d'encens. Bientôt, une mélodie s'est mêlée au son de ce qui s'est avéré être des cymbales. Quatre Elfes, vêtues de blanc, portant bannières et lanternes, marchaient en tête du cortège, chantant un air magnifique :

 

Accueillez la divine Reine

La divine Mère du monde

la Reine blanche, la Reine noire

Qui s'éveille de son Sommeil mystique

Pour rejoindre son Aimé

 

Kaaminh traduisait à mon intention ce chant, tandis que la foule applaudissait. Le reste de la procession suivait. D'abord deux prêtresses, masquées et vêtues de blanc, qui jetaient des poignées de fleurs et de graines sur le passage du cortège. Ensuite, seule et majestueuse, la Prêtresse figurant le Déesse marchait derrière. Vêtue de rouge, ses longs cheveux noués dans une couronne de branches, de fleurs et de rubans ruisselants sur ses épaules, elle marchait lentement, dissimulée sous un masque blanc et jaune, aux arabesques compliquées. Sa main droite tenait un sceptre blanc, orné d'une lune brillante et chapelets de fleurs. Derrière elle, marchaient les suivantes, également masquées mais vêtues qui de orange qui de jaune. Certaines tenaient de grandes cruches blanches. J'étais ému, bouleversé devant tant de beauté. J'aurais vraiment aimé partagé ce moment avec Laëth, mais elle restait désespérément engloutie par la foule fervente. Les gens chantaient, cadençant la mélopée avec leurs mains. Je tentais de suivre, de chanter avec les autres. Je me sentais soulevé par cette population unie en un seul battement de cœur. J'étais tout près de la procession, je pouvais admirer la beauté de la Prêtresse, sa démarche royale, son port de tête altier.

La procession de la Dame a, à son tour, gravi les marches vers la Ville Haute où l'attendait la noblesse. Puis, tous ensemble, nous avons terminé le chemin vers le temple. Le Prêtre était là, toujours agenouillé, en prière. Les autres prêtres avaient repris leurs positions autour du temple, torches en main. Les bannières de la Déesse ont été plantées de chaque côté du temple. Les suivantes ont répandu le contenu des cruches tout autour du temple, du lait, en psalmodiant. Puis, elles ont rejoint les autres prêtres. Enfin, la Dame s'est avancée vers le Prêtre. L'instant était solennel. Les spectateurs se sont répartis de façon à ne rien manquer du spectacle. Ma curiosité était à son point culminant. Alors que les tambours répondaient aux cymbales, les voix masculines s'unissaient aux féminines en un seul chant :

 

Les voici réunis, la Dame et son Aimé !

Vois, belle Reine au front d'argent

Il t'attend depuis la nuit des temps

Regarde, Dieu aux cornes d'airain

Elle vient pour réchauffer le monde de ses flammes sacrées !

 

La Dame est entrée dans l'enceinte du temple et s'est approchée du seigneur, toujours immobile. Elle s'est placée derrière lui, a posé les mains sur ses épaules. Répondant au signal, le Prêtre s'est levé, tandis que les mains de la Prêtresse glissaient le long de son corps. Le chœur répétait inlassablement sa litanie, avec force tambours et cymbales. Dire que j'étais choqué par le déroulement du rituel serait exagéré. J'étais, disons, surpris de cette sensualité qui transparaissait. C'était à mille lieues de ce que j'avais été habitué à voir. Mes yeux n'avaient été accoutumés à contempler de la souffrance, mystique certes, mais tout de même. Je me suis souvenu qu'un de mes précepteurs m'avait expliqué que le théâtre était œuvre divine, du moins dans l'Antiquité. Le rituel qui se déroulait sous mes yeux en était un parfait exemple. Pour un bref moment, ce prêtre et cette prêtresse seraient les incarnations vivantes du Dieu et de la Déesse. Je regardais, hypnotisé, les deux Elfes qui se faisaient face. Ses mains à elle étaient plaquées sur ses hanches à lui, et réciproquement. Ardentes caresses. Masque contre masque. Le chant du chœur avait changé :

 

Reine au front blanc

Accueille ton Aimé en ton sein !

chantaient les prêtres.

Roi aux cornes sacrées

Laisse ton Aimée te sanctifier !

chantaient les prêtresses.

 

Les torches étiraient les ombres, comme la brise jouait avec leurs flammes. La Dame a ôté sa couronne, libérant ses cheveux, secouant la tête d'un geste qui m'a semblé familier. Ses longs cheveux ont cascadé sur ses épaules et son dos. Je l'observait, médusé. Se pourrait-il ? Non... impossible... Chacun a ôté le masque de l'autre. Soupçonneux, je tentais d'apercevoir le visage de la Prêtresse. Peine perdue, seul celui du Dieu était visible de ma position. Et la foule compacte m'interdisait tout mouvement. Je fixais les bras blancs de la Dame, que caressaient les mains du Seigneur. La Dame et son Promis. Le Cornu et son Aimée. L'Elfe qui jouait le Seigneur m'était inconnu. Grand, les cheveux sombres et courts, il semblait dévorer des yeux sa vis-à-vis.

 

Soyez bénis en ce jour

Et bénissez-nous !

Que vos retrouvailles célèbrent

La fin des Jours Sombres !

 

Le chœur chantait, la foule reprenait, au son des tambours et des cymbales. Tandis que le chant enflait en intensité, les deux protagonistes continuaient ce qui ressemblait de plus en plus à des préliminaires amoureux. Je ne savais que penser. J'aurais vraiment aimé en discuter avec Laëth. Un sentiment que j'identifiais mal se diffusait en moi, laissant un sillon désagréable sur son passage. Lorsque le rituel s'est clos, laissant les deux officiants seuls dans le temple, j'ai suivi la foule jusqu'à la Ville Basse. J'ai refusé les festivités qui se déroulaient partout dans la cité. Je me sentais épuisé. Lorsque je me suis endormi, Laëth n'était toujours pas de retour.

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