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18 mai 2019 6 18 /05 /mai /2019 21:43

J'avoue que j'étais curieux d'en savoir plus sur cette célébration du Retour de la Déesse. Laëth a ainsi mis à ma disposition un épais volume intitulé La Saga Sacrée, lequel contenait entre autres cette fête. Elle m'a enjoint à le lire, gageant que ma curiosité allait me pousser à progresser. Elle avait misé juste. Autant, au début de ma lecture de ce passionnant ouvrage, je lui demandais fréquemment la traduction de certains mots ou passages, autant qu'au fur et à mesure de ma progression mes requêtes s'espaçaient. J'ai même fini par élaborer une sorte de dictionnaire personnel.

 

Cette Saga se fondait sur la marche des saisons. Elle racontait la relation complexe entre le Dieu et la Déesse, lesquels étaient présentés comme les Divins Parents de toute la Création. La Saga comprenait neuf épisodes, répartis dans toute l'année. Le livre était magnifique, garni d'illustrations lumineuses, colorées, que je regardais avec un émerveillement d'enfant.

Je découvrais une foi simple, libre de toute culpabilité. Ici, point de crainte du Châtiment Divin, du Jugement Dernier. Chacun y était responsable de ses actions, bonnes ou mauvaises et en supportait les conséquences. Pour changer son destin, il suffisait de changer son attitude et son rapport au monde. Simple mais pas simpliste. Laëth vivait sa foi sans chercher à me convertir. Dans la salle principale un autel était aménagé, sous l'escalier. Elle me l'a montré lorsque je l'ai interrogé sur le sujet. Deux statues en bois étaient posées côte à côte. Celle du Dieu était pourvu de bois de cerf et d'un visage serein. Celle de la Déesse ne portait, quant à elle, aucun bois mais de longs cheveux et une couronne. Sa couleur pâle contrastait avec celle, plus sombre, du Dieu. Elle m'a fait penser à Marie dans la douceur et la sainteté de son expression. Des bougies brûlaient dans de petits récipients en verre, parmi de nombreux petits objets que je ne pouvais identifier.

-Si je deviens ton apprenti, devrais-je me convertir à ta foi ?

Laëth a laissé un long moment ses yeux d'ambre courir sur moi.

-Pour être un bon guérisseur, il faut bien sûr avoir foi dans les puissances divines. Peu importe quel dieu tu pries, Luc. L'important c'est de prier pour ceux qui viennent te consulter. Le don de guérison est un cadeau divin, ne l'oublie jamais.

J'avais la foi que m'avaient inculqué mes précepteurs et mon père. Pendant des années, je m'étais rendu à la messe dominicale pour écouter le curé nous enjoindre à nous repentir de nos péchés et à craindre la colère divine si nous ne nous montrions pas dignes de Lui. Mon père était très pieux. Il craignait Dieu. Il voyait la mort de ma mère comme une punition divine. Il reportait toute son attention sur Paul, cherchant à toute force à ce que sa vie soit la plus exemplaire possible. D'un caractère plus accommodant que moi, mon frère se laissait porter par le courant. Je le croyais même capable d'accepter ce mariage arrangé qui m'avait fait fuir. Au fur et à mesure de ma lecture, je me laissais emporter par cette Saga Sacrée. Le jour de célébration approchait. Les rues étaient splendides avec leurs fanions colorés : rouge, jaune, orange, blanc. Laëth avait paré son autel des mêmes couleurs, déclinées en guirlandes ou en fanions.

 

À la nuit tombée, Laëth et moi sommes sortis rejoindre le reste de la population. Elle m'avait expliqué qu'une procession de prêtres allait défiler sous les flambeaux. La foule était impatiente, chacun cherchant la meilleure place pour ne rien rater du spectacle.

Puis, au loin, se sont fait entendre les tambours. D'abord discrètement, puis le son est allé crescendo tandis que des lueurs sont apparues au sommet des marches menant à la Ville Haute. Les rues étaient illuminées avec des torches, des lanternes sur les fenêtres. L'ambiance était empreinte de magie et de solennité. Je distinguais au loin des silhouettes encapuchonnées. Tandis que la procession se rapprochait, une mélopée montait dans l'air. Les fanions applaudissaient sous le vent. Les Elfes autour de moi accueillaient le cortège des prêtres en chantant. Tous unis dans la ferveur de cette célébration. Je baignais dans cette ambiance sacrée. Bien que je ne connaissais pas les paroles de ce chant, mon âme vibrait en harmonie. Les prêtres marchaient d'un pas majestueux. Un prêtre se détachait de la procession, marchant seul, en robe jaune alors que les autres étaient vêtus de blanc. Sa capuche était baissée, révélant un masque sombre en bois patiné. Sa tête était couronnée de bois de cerf, son cou de fleurs rouges, oranges et blanches. Sa main tenait un long sceptre sombre, en bois, décoré de cornes recourbées, de crocs et de plumes. Un dieu sauvage et beau. Derrière lui marchaient une quinzaine d'autres prêtres, capuches sur la tête. Les tambours étaient tenus par les trois du premier rang. Laëth était à mes côtés, me chuchotant la traduction des paroles du prêtre.

-Je suis venu attendre Celle qui dort sous la terre. Grande Dame de la Vie, rejoins-moi bien vite !

Ces paroles dégageaient beaucoup de force. Cette façon de célébrer les mystères divins étaient très éloignée de celle à laquelle j'étais habitué. Cela aurait été blasphème pour un prêtre chrétien de personnifier Dieu de cette façon. Mon père, sans nul doute, aurait été outré et offensé à ma place. J'étais juste, quant à moi, émerveillé. La population a emboîté le pas à la procession, entonnant un chant rythmé par les tambours. Le cortège a entrepris l'ascension des marches menant à la Ville Haute, le rythme cadencé du chant emplissant l'air.

 

Ma divine Bien-Aimée

Rejoins-moi dans la lumière

Que ton amour m'embrase !

Qu'il me consume et me purifie !

Pour que je renaisse

Redonne-moi la vie !

 

Tout en chantant, nous avons rejoint ces quartiers plus riches que j'avais découvert quelques jours plus tôt. Là aussi, les rues étaient jalonnées de torches et de brasiers, de fanions et d'étendards. La noblesse attendait à l'entrée de leurs demeures, lanternes à la main, que la procession les rejoigne. Elle s'est glissée à la suite du peuple, reprenant le chant. Tous unis dans cette foi simple et puissante. Plus l'obscurité avançait, plus la procession s'habillait de magie. L'air froid se réchauffait de prières et de chants. Je participais à cette ferveur bien plus qu'à n'importe quelle fête religieuse de chez moi. J'en étais le premier étonné. À défaut d'en connaître les paroles, je murmurais la mélopée envoûtante de cette litanie. Le cortège est passé près du Palais d'Amôn Dhin et, nous conduisant vers une nouvelle volée de marches, nous nous sommes rendus sur une esplanade retirée loin derrière le Palais. Quelques arbres encore endormis par l'hiver entouraient un petit kiosque blanc. De nombreuses torches avaient été allumées et jetaient des ombres alentours. Des étendards jaunes, rouges et oranges se devinaient dans la pénombre, suspendus aux arbres. La foule s'est rangée tout autour du kiosque. Laëth m'a pris par la main pour me conduire devant, afin que je puisse mieux voir. Le cercle de torches éclairaient parfaitement le kiosque. J'ai pu ainsi apercevoir un petit autel bâti à l'intérieur. Le prêtre masqué a pénétré dans ce temple, tandis que les autres se répartissaient tout autour. L'instant était solennel et magique. Je retenais mon souffle, comme tous les autres. Après quelques manipulations, une odeur de résine s'est répandue dans l'air nocturne.

 

Ma divine Bien-Aimée

Rejoins- moi dans la lumière

Reçois cet air parfumé

Embrase-moi de ton amour !

Qu'il me consume et me purifie !

Pour que je renaisse

Viens et redonne-moi la vie !

 

Plusieurs fois, le prêtre a déclamé sa prière, rythmée par la voix des tambours, répétée par le chœur des autres prêtres. Les tambours ont accéléré leur rythme, les prêtres ont tapé des mains en rythme, de plus en plus vite. Mon cœur battait au fond de ma poitrine. Puis, sur un ultime battement, les tambours se sont tus et le cercle des prêtres s'est rompus, abonnant leur collègue sans plus de cérémonie. Surpris, je me suis tourné vers Laëth.

-Le Grand Prêtre va prier toute la nuit. Il va attendre que la Déesse le rejoigne.

-C'est tout ?

-Pour aujourd'hui, oui. La Procession de la Déesse aura lieu demain.

C'est ainsi que j'ai suivi Laëth jusqu'au logis, l'esprit encore empli de la magie de cette célébration. Nous avons retraversé la ville, discutant à voix basse, sans nous presser. Sa main toujours dans la mienne.

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