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12 février 2016 5 12 /02 /février /2016 10:29

Je me dois de vous expliquer ma présence dans ces bois. Elle est réellement insignifiante, complètement déplacée au regard des répercussions de cette journée. Car, bien qu'elle ait atrocement mal commencé, qu'elle ait plus atrocement terminé encore, elle fut néanmoins le début de ma véritable existence.


Je m'appelle Luc et au moment où débute ce récit, je viens de fuir ma noce. En effet, mon père m'avait choisi pour épouse une demoiselle fort laide mais très riche. Sa fortune était considérée comme une panacée à ses mauvaises manières et à son manque d'atours . Mon père était un négociant qui venait à considérer les années précédentes comme suffisamment désastreuses pour marier son fils unique contre son gré à un de ses confrères plus chanceux. J'avais bien essayé de m'y résoudre, en fils obéissant, mais une fois parvenu au jour fatidique, une vague de rébellion est montée en moi et m'a jeté hors de ma demeure familiale. Je profitais de l'inattention des domestiques, affairés à la préparation du banquet nuptial, pour me glisser hors de la bâtisse. J'ai couru aussi vite que ma panique pouvait me propulser. A travers les champs derrière notre résidence, j'ai fui à toute jambe ce destin tout tracé. J'ai couru encore plus vite lorsque la forêt s'est avancée vers moi, m'offrant ses bras protecteurs. Je l'ai traversée , le souffle court, jusqu'à ce que je trébuche et tombe dans un buisson. Pantelant, l'esprit en feu, je suis resté protégé dans cette cachette imprévue, attendant que la lune se lève pour prendre une décision.


La flèche du destin s'est plantée dans ma jambe, projetée par l'arbalète d'un braconnier. Je somnolais dans mon abri de fortune, cherchant une destination à ma course effrénée. Mon hurlement de douleur a dû chasser au loin tout le gibier des alentours. Bien vite, d'autres cris se sont mêlés aux miens. Les braconniers venaient de réaliser leur erreur. Je ne distinguais pas bien leurs paroles, mais leur intonation indiquait clairement leur désaccord. Tandis que je criais à l'aide, hurlant ma douleur dans l'air brumeux, j'ai vu surgir deux formes hirsutes. L'un, très grand, fort et large, était vêtu de ce qui s'avéra être une pelisse en peau d'ours. Il avait le visage clair et barbu, les cheveux longs et le regard peu avenant. Son acolyte était plus menu, plus petit aussi. Ses cheveux étaient maintenus en catogan, sa mine de renard me regardait avec méfiance.
-Pitié, ne me laissez pas ici, messires !
-Messires ? Tu entends Thorgal ?
-Ouais... On ne peut pas le laisser là de toute façon. On va s'attirer des ennuis.
-Je ne vous dénoncerai pas, je vous jure !
Mais ils ne m'écoutaient pas, je m'en suis vite rendu compte.leurs regards étaient fixés sur un arbre derrière moi. Tournant péniblement la tête, j'ai alors aperçu une bannière de cuir clair ornée d'un symbole. Les deux chasseurs m'ont considéré un moment en silence avant de me soulever avec précaution. Le géant m'a porté comme un enfant endormi, ma jambe blessée calée de telle sorte que je souffre le moins possible durant le trajet. Ils ont traversé la forêt comme des habitués. J'ignorais totalement où ils me conduisaient mais nous nous sommes enfoncés toujours plus loin dans les bois. Nul ne parlait. Je sentais ces deux hommes soucieux, sans en comprendre la cause.


La forêt a cédé la place à un chemin pavé de large, encadré de deux tourelles hautes et fines. Quelques maisons bordaient le sentier, mais les volets clos n'avaient rien d'accueillants. La pénombre m'empêchait d'étancher ma curiosité, excepté lorsque nous avons croisé un veilleur de nuit. Sa lanterne a éclairé la rue endormie et les habitations de pierre grise et de chaume qui se blottissaient le long de la rue. Les échoppes closes, les volets fermés, les étals rangés, tout indiquait que nous venions d'entrer dans une ville. Mais impossible pour moi de l'identifier.
-Où allez-vous, tous les deux ? Qui est votre compagnon ?
-Ohlà Vigile, nous le conduisons chez la Rebouteuse. Nous l'avons trouvé ainsi dans les bois.
-Fort bien. Je vous conduis. Après vous viendrez m'expliquer ça à la Conciergerie.
C'est ainsi qu'éclairant le chemin devant nous, le garde nous a ouvert la route à droite d'abord, puis nous nous sommes engagés sur un entier qui longeait une forge que je devinais à main droite. Nous avons avancé jusqu'à ce qu'une autre lanterne apparaisse. Le veilleur de nuit s'est arrêté à quelques distances de la maison tandis que notre convoi continuait sa route. Le géant a regardé son ami, qui hésitait à toquer.
-Tu sais qu'on n'a pas le choix, Cômes.
-Je sais, je sais...
il a tapé à la porte en soupirant. La maison n'était qu'une masse appuyée contre un morceau de nuit. Sous la lanterne, j'ai aperçu le même le même signe que dans la forêt, gravé sur une plaque de bois. Des pas se sont faits entendre et la porte s'est ouverte sur une femme. A la lumière du lumignon, ses cheveux semblaient luire comme du cuivre, encadrant un magnifique visage.
-Bonsoir. Nous avons un blessé pour toi.
-Bonsoir. Monte-le en veillant à ne pas le blesser davantage.
C'est ainsi que le géant m'a transporté jusqu'au dernier étage et déposé délicatement sur un lit moelleux.
-Je ne dirai rien, promis. Merci de m'avoir conduit ici.
Il ne m'a rien répondu, m'offrant juste un sourire piteux. Puis ses pas lourds sont redescendus vers la nuit. La douleur avait épuisé mes résistances et ma jambe tremblait violemment à présent. Elle est arrivée dans ma chambre avec un plateau chargé de flacons et de bandages.
-Bonsoir. Je suis désolée de venir vous importuner.
-Tu ne m'importunes pas. Je m'appelle Laëth.
-Luc. Je...
Elle a posé ses doigts sur ses lèvres, le regard intense. Puis, avec des gestes vifs, elle a déchiré mon pantalon à l'aide d'une longue dague effilée. Elle a ôté mes bottes crottées tout doucement. Ma jambe blessée gisait, pitoyable, sur ses draps blancs. Elle s'est penchée pour examiner ma plaie, ses mèches courant sur ma peau.
-Il va falloir souffrir encore un peu. Je dois retirer cette horreur.
-Je sais. Je sais...
Elle a cassé les volants du carreau, lissant au maximum le bois avec sa dague. Je serrais les dents, crispant les poings dans le tissus de sa literie.
-Ne te retiens pas de crier. Tu as le droit d'avoir mal. Les deux idiots mériteraient de souffrir avec toi. Tu es prêt ? On y va.
Elle a pris fermement le bout pointu et a tiré brusquement, m'arrachant un cri. J'ai senti le sang couler tandis que ma jambe semblait être farcie de braises. Je l'ai regardé, les yeux humides, puis ma vision est devenue noire.


Lorsque j'ai repris conscience, elle était assise contre la paroi face à mon lit. Elle lisait. La pièce était éclairée de bougies fixées aux murs. L'ameublement était succinct, mais douillet. Il faisait chaud ; j'étais bien. Ma jambe était pansée et reposait sur les draps. La literie n'était plus blanche, hélas.
-Désolé pour le dérangement...
-Tu ne déranges pas. Tu as faim ?
Je hochais la tête. Cette femme m'intriguait. Laëth. Curieux prénom, mais il lui allait bien. Elle était magnifique, avec ses longs cheveux bouclés qui encadraient son visage mutin. Ses yeux étaient d'une nuance rare et luisaient dans la pénombre comme ceux des loups. Je me sentais succomber sous son charme. Les braconniers l'avaient appelée la Rebouteuse... Une guérisseuse, donc. J'en avais rencontré une quelques années plus tôt. Elle vivait dans le village près de chez moi. C'était une vieille femme, toute rabougrie qui sentait une odeur d'herbes. Rien à voir avec celle chez qui je gisais, blessé. Lorsqu'elle est revenue , son plateau était chargé de victuailles. L'odeur alléchante qui l'accompagnait a fait gronder mon estomac. Je me redressais en grimaçant et j'ai pris le bol fumant qu'elle me tendait.
-Mange doucement, Luc.
Elle ne me connaissait pas, pourtant elle me parlait comme à un ami. Même ceux que je considérais comme tels ne me parlaient pas avec ce ton amical. J'étais le fils du plus grand négociant de la région, mon amitié était synonyme de politique, de toute façon. Pas avec elle. Elle semblait ignorer qui j'étais. Ou s'en fichait. Ce qui revenait au même.
-Puis-je savoir où je suis ?
-Bien entendu. Cette cité se nomme Âmon Dhin. Le prévôt viendra dès que ta fièvre sera loin.
Âmon Dhin ? La Âmon Dhin ? J'avais entendu des récits sur cette ville... On la disait introuvable, tapie au-delà de la forêt... Justement celle vers laquelle j'avais couru comme un désespéré. Certes elle était profonde, épaisse, mais delà à ce qu'elle ouvre sur Âmon Dhin ! On la disait entourée d'une forêt sacrée qui la masquait aux yeux de tous.
-Comment suis-je arrivé ici ?
-Thorgal et Cômes t'ont confondu avec un chevreuil, je dirai.
Je secouais la tête, incapable d'exprimer le fond de ma pensée. Âmon Dhin... Plaisantait-elle ? Non... Son regard était franc et direct et... si lumineux.
-Finis ton repas. Tu as besoin de force.
Je hochais la tête tout en mâchant ma bouchée de ragoût. Il était goûteux, épicé, agrémenté de légumes savoureux. J'ai fini mon bol sans un mot de plus, bu l'eau fraîche qu'elle m'a offert. Elle a déposé le plateau sur une desserte. Puis tout doucement, elle a commencé à retirer le bandage de ma jambe. Ma dernière vision de ma jambe était violemment teintée de rouge. Aussi appréhendais-je ce moment. La plaie était encore vilaine, les chairs meurtries étaient rouges et boursouflées. Avec précaution, elle souleva ma jambe pour la déposer sur un linge épais. J'ai retenu une plainte comme la douleur lancinait dans mon corps. Puis, avec des gestes doux, la Rebouteuse a entrepris de laver ma plaie. Elle a versé quelques gouttes provenant d'un petit flacon dans la bassine, puis elle a baigné ma blessure. L'eau fraîche avait une odeur légère et douce et son contact était une bénédiction sur ma chair ravagée. Je regardais ses mains me soigner, complètement hypnotisé. Les blessures n'étaient pas belles, elles suintaient un peu. Elle chantonnait à voix basse. Je ne comprenais pas les paroles, mais l'air était très beau. Elle a étalé ensuite un onguent, qui m'a arraché un cri tant son contact était désagréable.
-Vraiment désolée. Mais il va aider à cicatriser en évitant les infections.
Elle l'a appliqué avec soin, ses doigts blancs se faisaient légers comme des papillons. Elle manipulait la jambe avec une infinie précaution, touchant la chair lésée sans aucune répugnance. J'avais moi même bien du mal à regarder mon membre meurtri. J'avais pourtant déjà reçu des blessures de chasse dans le passé, mais rien de comparable. Lorsque les soins ont été terminés et ma plaie pansée, elle m'a laissé un moment, rapportant en bas le plateau. Je me suis allongé un moment, soulagé. Certes j'avais mal mais j'étais apaisé. Les murs étaient nus de toute décoration. En observant le ciel par la fenêtre à main droite, je constatais avec surprise que l'aube pointait son nez rose. M'avait-elle veillé toute la nuit ? Elle est revenue avec une tasse fumante.
-Bois.
Un ordre simple auquel j'ai obéi sans réfléchir. Elle ne semblait pas fatiguée.
-Désolé de vous causer du dérangement.
-Tu ne déranges pas, je te l'ai dit. Finis tout.
-C'est très amer...
-Attends.
Elle a pris ma tasse et a ajouté un peu de miel du pot posé sur la desserte. Elle m'a retendu mon breuvage avec un sourire.
-Finis tout.
Ce que j'ai fait, sans un mot de plus, et je lui ai rendu la tasse. Puis je m'allongeais et l'observais tandis qu'elle s'affairait autour de moi. Elle a rajusté ma couverture, prenant garde à laisser ma jambe en dehors. Puis elle a touché mon front, vérifiant ma fièvre. Je me sentais fatigué.
-Je te laisse te reposer. Bonne nuit.
Et sans un mot de plus, Laëth a quitté la pièce.

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