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10 avril 2010 6 10 /04 /avril /2010 12:10

 

Elle fit escale dans son refuge, une chambre d'hôtel de bonne qualité, afin de faire un brin de toilette avant de se rendre à La Faim de la Nuit. Certains Buveurs de Sang préféraient se terrer dans des taudis sans nom, mais pour sa part, elle appréciait le confort moderne d'une douche chaude et de senteurs délicates. Elle sourit au réceptioniste, monta d'un pas leste malgré tous ses paquets, refusant l'aide qu'il venait gentillement de lui proposer. Après avoir vérouillé sa porte, elle ôta ses vêtements, et se dirigea vers la salle de bain. Elle laissa l'eau brûlante glisser avec délice le long de son corps gracile et musclé, sentant sa température remonter. Puis elle choisit un gel douche aux senteurs de tiaré et se lava minutieusement, enivrée par cette odeur et la chaleur de l'eau. Sa peau, d'ordinaire d'une blancheur d'albâtre, prenait des nuances rosées qui la ravissaient. Elle profita longtemps de cette douche, et y serait restée volontier toute le soirée si d'autres affaires ne la réclamaient dehors. Elle soigna sa mise, car il ne fallait pas qu'elle soit refoulée à l'entrée à cause de sa tenue, ça aurait été un comble quand même.

 

Elle prit le chemin du club d'un pas souple, les talons de ses bottes claquant sur le trotoir glacé. Le ciel avait une teinte blanche ,annociatrice de neige. Elle se souvenait encore de sa première neige, de l'émerveillement que cela avait sucité en elle.Même maintenant que le froid ne pouvait plus l'atteindre, que son âme s'était endurcie au fil des épreuves et des nombreux combats que sa longue éxistence lui avait réservé, la neige conservait tout son merveilleux à ses yeux de vampire.

 

La Faim de la Nuit affichait un tel succés que videurs et autres physionomistes ne manquaient pas d'occupation avec le vaste attroupement qui campait devant ses portes. Nicole considéra cette foule, pour l'essentiel humaine, depuis le trotoir d'en face. Elle devait entrer, le Maître de cette ville aurait sans nul doutes l'information qu'elle recherchait. Elle en avait croisé de nombreux autres depuis qu'elle même avait rejoint les rangs des vampires, et tous n'étaient pas de son Clan. Certains véhiculaient toutes une mythologie obscure comme les Gangrel. Certains autres refusaient de divulguer les secrets qui asseyaient leurs pouvoirs , comme son propre Clan. Mais le crime de Bismarck était suffisamment odieux pour qu'aucun Clan ne s'assure qu'il soit puni.

 

Elle remonta la manche de son manteau et celle, plus délicate, de son chemisier pour dégager son poignet blanc. Après un regard alentour, elle mordit sa chair de marbre. Pendant quelques toutes petites secondes, rien ne se passa, puis le sang afflua hors de la plaie. Elle chuchotta un sortilège et tandis que la blessure se refermait déjà, elle recueillit les précieuses gouttes de sang. Elle les regarda luire sous l'effet du sortilège avec un sourire satisfait. La magie de son Clan était puissante. Une fois le sort scellé par une passe, le sang émit une ultime lueur avant de reprendre son aspect normal. Les quelques gouttes de précieux liquide vital étaient chaudes au toucher. Tout doucement, Nicole déposa les gouttes sur son cou. Aussitôt, sa peau avide l'absorba. Elle attendit encore quelques instants, sentant une douce chaleur l'envahir. Puis, elle traversa la rue d'un pas décidé, et alla s'aligner dans la fille qui s'allongeait devant le club. Les humains qui l'entouraient dégageaient certes une odeur appétissante, mais elle était repue, ce qui lui assurait d'être relativement inoffensive. Elle entendait le désir des hommes et la jalousie des femmes. Mais personne n'avait conscience de pénétrer dans un repaire de vampires. Ou peut-être que si ? Après tout, cela lui importait peu, les humains étaient libres.

 

Sans beaucoup de surprise, elle vit le portier lui faire signe d'entrer. Après tout, la magie de son Clan avait fait ses preuves depuis des siècles ... L'intérieur de la Faim de la Nuit avait cette ambiance gothique qui plaisait à la fois à la jeunesse de ce siècle et aux vampires. L'appât idéal, l'écrin parfait pour les appétits de ceux de sa race. Les murs, d'un violet profond? Étaient réhaussés d'argent autour des miroirs aux cadres baroques. La lumière était dispensée par des appliques ouvragées en fer forgé. Le tout parvenait à donner une impression de lumière rassurante et de pénombre confortable. La musique était diffusée à un volume non négligeable, ses pulsations étaient réhaussées par les stromboscopes. Elle avança d'un pas dansant, appréciant la musique. Elle en profitait aussi pour repérer les lieux, bien à l'abris derrière ses lunettes à verres miroir. La foule était dense, les coprs se bousculaient sur le dancefloor avec une belle énergie. La population de ce club était jeune et en pleine force de l'âge. L'odeur de tous ces humains était entêtente. Dans la pénombre, elle devinait les vampires de ce lieu, elle sentait leurs regards posés sur sa personne, certains la détaillant de pied en cap, d'autres la dévisageant d'une façon peu amène. Mais quoi qu'ils pensent de son intrusion sur leur territoire, ils ne feraient rien sans que le Dominus de cette ville ne leur en donne l'ordre. Nicole avisa une porte tout au fond du club, près des banquettes. Deux gardes du coprs en protégeaient l'accès. Des humains, ces deux malabars étaient des humains, mais le discret bandeau de cuir, badgé d'un loup hurlant, qu'ils portaient autour du cou, révélait leur appartenance au Clan Gangrel. Néanmoins, elle s'approcha d'un pas décidé, gardant malgré tout un oeil sur les vampires nonchalemment installés sur les canapés en velour .”On n'entre pas. C'est une salle privée, l'informa l'imposant Noir de gauche.

- Je n'en doute pas. Soyez gentil, allez dire à votre maître que je souhaite le renconter.

- Vous croyez pouvoir l'importuner comme ça ? lui demanda l'imposant Noir de droite.

- Donnez-lui ma carte et laissez-le en juger.” Ce disant, elle tendit une carte, attendant que l'un des deux se décide. L'imposant Noir de droite s'en empara et disparut derrière la porte. Elle n'eut pas longtemps à patienter et lorsque la porte se réouvrit, elle s'engagea à la suite du grand balèse. Le bout du couloir, fort peu éclairé, s'ouvrait sur une pièce luxieusement aménagée. Au-dessus de sa tête pendait un magnifique lustre en pampilles de cristal. Elle fit quelques pas dans la pièce, saluant de la tête tous les vampires rassemblés là. La demi douzaine de Buveurs de Sang présents était alanguie qui sur de confortables fauteuils, qui sur des banquettes, tous en cuir sombres. Les meubles, en bois précieux, s'harmonisaient parfaitement. Derrière un splendide bureau trônait un vampire au regard intense. “Recevez les salutations du Clan Tremere.” Tout en parlant, elle s'inclina devant son vis à vis, ainsi que face aux autres vampires. Elle en profita pour observer les vampires présents : la mise élégante, abondemment pourvue en cuir et fourrures, toutefois. “A genoux devant le Maître de cette cité ! Je suis Bastien et tel est mon titre !” Elle ôta posément ses lunettes et goûta avec satisfaction la surprise de Bastien. “Jamais Tremere ne s'est agenouillé devant quiconque, hormis son Roi, clama t-elle en fixant l'autre de ses prunelles argentées.

- Toujours aussi fiers, ces Tremere ! affirma une voix derrière elle. Elle pivota vers la voix, laquelle appartenait à l'un des vampires alanguis sur l'un des canapés. Vêtu d'un pantalon en cuir noir, ajusté, et d'un gilet en cuir assorti agrémenté d'un col en fourrure rousse, probablement du renard. En y regardant de plus près, elle constata le petit, mais bien réel, espace qui le séparait des deux autres Buveurs de Sang. Elle s'inclina à nouveau face à lui, le regardant dans les yeux. “Oui, nous sommes un Clan fier, pourquoi le nier ? Et nous ne sommes pas dupes des supercheries.

- Comment cela ? interrogea Bastien.

- Jamais je ne croirais que tu es le Maître de cette cité, surtout quand je le vois devant moi.” répondit Nicole avec un nouveau salut en direction du vampire au col de renard. Le silence accueillit sa déclaration, jusqu'à ce que le vampire désigné se lève. D'une démarche souple, il vint se poster devant elle. “J'ai entendu parler de toi, Nicole di Medicis. Tout ce que l'on dit de toi est-il vrai ?

- Probablement. Mais ce n'est rien en comparaison de tout ce que l'on tait.” Elle ponctua sa dernière phrase d'un sourire ; le Dominus lui en fit un en réponse. “Enchanté, Nicole di Medicis, je suis Justin, Dominus de cette cité.” Elle serra la main qu'il lui tendait. Il l'invita à s'asseoir tandis qu'il allait s'installer au bureau que son acolyte avait libéré. Après quelques civilités, Justin s'informa du but de la visite de Nicole. Et Nicole, posément, lui exposa sa requête. Tous l'écoutèrent dans un silence concentré.

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4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 14:37

Bonjour et merci pour l'invitation !

Je suis donc inscrite sous le pseudo de Plume de Nuit et je publie sur mon blog mon manuscrit original "Vampyr Story : que Justice soit faite !" qui traite de ce que chacun peut souhaiter, en fin de compte : la justice.

Mais la justice pour soi ne l'est peut-être pas pour les autres ? Justice ou vengeance ???
Où est la limite ??

Sinon, quoi dire de plus ?? Que je suis une jeune maman d'une mouflette de 4 mois (presque 5 !). J'écris depuis de nombreuses années mais c'est la 1ère fois que mes écrits apparaisent sur la toile. Auparavant, je l'hébergeais sur Myspace, mais je l'ai récemment déménagé ici.

Voilà, j'espère que mon histoire vous plaira ...

A bientôt !

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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 14:48

Chapitre 17

Son regard courra de Bismarck à la goule, il ressemblait à un lapin face à un loup. Ses vêtements étaient passablement chiffonnés. "Qui êtes-vous ?" Bismarck continua à l'observer sans un mot, son sourire le plus dangereux aux lèvres. Il ne prit même pas la peine de lui répondre. "Vous êtes ce…meurtrier. Ce monstre…" Le silence qui se prolongeait à loisir mettait ce pauvre humain à la torture. Parfait. Il le laissa bredouiller encore un peu, supplier vainement sa goule, avant de consentir à lui adresser la parole. "Laisse-moi me présenter. Je m'appelle Salmonéus Bismarck.....

-C'est donc vous." Bismarck coula un regard intéressé. Ce petit humain promettait d'être amusant. "Oh, je vois qu'on t'a parlé de moi. En termes élogieux ?....

-Non.....

-Parfait. Je n'aurais pas aimé que cette petite morue te mente. Va me chercher un siège.", ordonna t-il à sa goule. Il fit le tour de la cage, à pas mesurés, avisa l'assiette vide abandonnée par terre. Il la dégagea du revers de la botte. Il s'installa à califourchon sur la chaise que sa créature venait de lui apporter. "Inutile de lui lancer des regards d'épagneul, cette pauvre chose n'a aucune volonté.....

-Que lui avez-vous fait ?" Son air outré fit sourire le vampire. "Tu n'aimerais pas le savoir. Pas vraiment. Mais je peux te montrer… Je plaisante !....

-C'est vous qui l'avez assassiné !....

-Qui donc ? Sois plus précis, mon palmarès est immense.....

-Ma femme ! Laura Flamant !....

-Ce nom ne me dit rien, désolé. Mais c'est vrai, j'ai toujours adoré les femmes… leur chair est si douce." Cet humain était vraiment intéressant. Il comprenait presque l'intérêt qu'il suscitait chez cette emmerdeuse. Presque. Mais son intérêt à lui pour les gens était purement alimentaire, alors qu'elle… "Qu'est ce que je fais ici ?....

-tu es là parce que tu m'agaces. Je sais aussi que tu donnes des infos à cette petite prétentieuse.....

-Vous parlez de Nicole Pavalli ?....

-Il ne nie même pas… Tu te rends compte, Rachel ?....

-Oui, Maître." Sa goule était immobile derrière lui. L'attention du prisonnier dévia vers elle. "Pourquoi ne faites-vous rien ?....

-Parce que je lui ai ordonné de ne pas t'écouter. Cette chose ne fera rien de ce que tu lui demanderas. Même si ta vie en dépendait.....

-Quelle horreur ! Pauvre femme…....

-Elle ne mérite même plus le nom de femme. Rachel, dis au monsieur ce que tu es.....

-Je suis la goule de Maître Salmonéus.", énonça docilement la goule. Cette déclaration eut l'effet escompté : la frayeur se disputait la place à l'étonnement sur le visage du prisonnier. Bismarck s'amusait beaucoup. Une chance qu'il venait de se nourrir, sans quoi il n'aurait pas résisté à l'envie de boire à ses veines. Une chance pour cet humain, c'est certain. "Pourquoi avez-vous fait ça à cette malheureuse ? interrogea l'humain d'une voix sourde.....

-Tu es bien curieux, petit homme. Mais après tout, c'est normal, je suppose. Tu es flic, n'est ce pas ?" Il le vit hocher la tête, appuyé contre les barreaux du fond. Sa frayeur le faisait transpirer. "Sais-tu qui je suis ?....

-Salmonéus Bismarck, l'immonde vampire qui a tué ma femme et plusieurs autres personnes.....

-La flatterie ne te sauvera pas, tu sais." Il tourna la tête vers sa goule, interrompant son discours, mu par une douleur sourde. "Sors et dis-moi où ça en est.....

-Bien, Maître." Il attendit son retour, sans rien ajouter. La pièce où ils étaient ne comportait aucune fenêtre, mais son instinct ne le trompait pas. La goule revint au bout d'un court instant. "Le soleil va bientôt se lever, Maître." Il soupira et se leva. "Je vais devoir vous laisser. Mon pire ennemi va bientôt sortir de sa tanière et je n'ai pas la chance qu'a cette petite conne." Il maîtrisa avec peine la colère qui montait. La même question le taraudait à chaque fois qu'il sentait la torpeur l'envahir : pourquoi elle et pas lui ? Tandis que son corps se raidissait, son esprit bouillait encore de rage. Il aurait mérité cet honneur, ses connaissances dans la magie du sang le lui affirmaient. Cette faculté spéciale dont cette Nicole de malheur bénéficiait était indépendante à sa transformation. Les éclipses ne sont pas si rares quand on vit plusieurs siècles. Puis il sombra dans l'inconscience.....

         Il savait qu'il rêvait, il avait aussi tout à fait conscience de la course du soleil. Mais dans son rêve, il faisait nuit. Il faisait toujours nuit dans ses rêves. Le soleil est son ennemi depuis longtemps. Il voyait Ricardo dans ce rêve. Il était vêtu de tissus précieux par-dessus son vêtement sombre. Il aimait ces longs vêtements de velours coûteux. Il savait en quelle année ils étaient : 1442. Cette année était marquée d'une pierre rouge dans l'histoire de son espèce. Ricardo avait travaillé plusieurs siècles sur cet élixir et il était enfin prêt. Toute cette puissance contenue dans cette fiole, c'était grisant. "Regarde mon petit, c'est enfin prêt." La voix de Ricardo di Médicis résonnait encore dans ses oreilles. Il était fier et il méritait les éloges de son Clan. Il méritait les éloges de tous les Clans. Salmonéus aussi était très fier de son maître. Il voyait la lumière des bougies jouer sur cette délicate fiole de verre. "J'ai réussi, Salmonéus ! ça m'a pris du temps, mais j'ai enfin trouvé comment supporter les rayons du soleil. Tu te rends compte ?....

-Oui, Maître. C'est formidable." Ce n'était pas un rêve, il le savait. C'était un souvenir. Il se rappelait de sa dévotion et de l'amour qu'il vouait à Ricardo. Il savait tout ce que ce vampire avait fait pour lui, mais plus jamais il n'accepterait le joug d'un autre, fut ce t-il aussi remarquable que Ricardo di Médicis. D'autres souvenirs affluèrent, mais le dernier fut encore et toujours le même : il voyait les flammes de ce bûcher immonde, il sentait cette horrible odeur… Il apercevait au loin, silhouettes noires dans les flammes, les juges nommés parmi ses pairs, qui attendaient leur tour. Il essayait des les appeler à l'aide, mais seules l'horreur et la douleur s'échappaient de sa gorge. Les échos de son cauchemar le réveillèrent. L'astre du jour s'était enfin couché, laissant la scène à sa sœur d'argent. Une fine sueur rosit ses doigts lorsqu'il s'essuya le front. Il rejoint rapidement son prisonnier et sa goule. "Bonsoir, Maître.....

-Alors, as t-il été sage aujourd'hui ?....

-Il m'a beaucoup parlé, Maître.....

-Que voulait-il ?" Tout en parlant, il faisait le tour de la cage. L'homme dormait. Ses cheveux étaient en bataille et légèrement humides sur son front. Ne l'ayant pas touché ni goûté, il ne pouvait lire dans ses pensées, mais les tressaillements dont il était victime pendant son sommeil prouvait que ce dernier n'était pas paisible. "Il voulait que je le laisse sortir, Maître. Mais je ne l'ai pas écouté, Maître, comme vous me l'avez ordonné.....

-C'est bien, Rachel. Non, pas maintenant." Il la repoussa tandis qu'elle lui offrait son cou avec un sourire de droguée. "Donnes-lui à manger tant qu'il dort. Et nourris-toi correctement.....

-Bien, Maître." Il la regarda faire tandis qu'elle faisait cuire de la viande et des légumes. Elle chantonnait pendant qu'elle cuisinait. Elle avait encore l'air très humaine, si on exceptait les cernes bleu-noires sous ses yeux et son regard continuellement absent. Peut-être avait-elle une famille, un fils, qui sait ? Il savait qu'elle le lui dirait s'il le lui demandait. Mais il ne le ferait pas, parce qu'au fond, il s'en fichait. Si seulement il pouvait la faire souffrir en l'interrogeant, peut-être lui demanderait-il de lui parler de sa famille. Mais en tant que goule, elle ne ressentirait aucune douleur morale. S'il y avait pensé avant de la changer… Mais qu'importe, après tout. Il était trop tard pour faire machine-arrière. Elle lui était plus utile comme goule, surtout maintenant qu'il avait un invité. Il donna ses consignes de sécurité habituelles avant de sortir. L'air était vif au dehors. Tant mieux, il lui ouvrirait l'appétit. Ne s'étant pas sustenter aux veines de sa goule, sa faim grondait au fond de lui.....

         Cette nuit-là, ce fut un bel adolescent qui vint à lui. Il affirmait être majeur, condition indispensable pour fréquenter l'établissement de saunas où Bismarck alla ce soir-là. La chaleur et la moiteur de lieu lui permirent de faire illusion à merveille. Certes, il prétendait être majeur, mais ses traits juvéniles le démentaient clairement. Le vampire  réussit à contenir sa faim jusqu'à l'appartement que le jeune homme occupait. Après tout, peut-être disait-il la vérité ? Bismarck revit avec délectation les yeux bleus du bel adonis s'emplir d'horreur tandis que ses crocs s'enfonçaient dans son cou. La nuit était encore jeune. Il regagna son abri en chantonnant la même ritournelle que sa goule.....



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Chapitre 18

 

Depuis combien de temps suis-je ici ? C'est l'une des questions qui me tarabustaient. Pourquoi suis-je ici ? Je dormais lorsque le désespoir avait eu raison de moi. Cette pièce sordide n'ayant aucun accès sur l'extérieur, je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était. Ni même si c'était le jour ou la nuit. Je retardais le plus possible le moment d'ouvrir les yeux, mes paupières étant le seul rempart contre l'horreur et la désespérance. Mais une odeur de nourriture eut raison de ma résistance. L'assiette était là, à la même place que d'habitude. L'odeur qui s'en échappait était alléchante. C'était la seconde assiette qui je voyais, je supposais donc, qu'à raison d'une assiette par jour, ça faisait bien deux jours que j'étais retenu captif par ce monstre. "Bonjour" coassais-je à la femme. Il l'appelait Rachel et affirmait qu'elle était sa goule. Du diable si je savais ce que c'était. Elle avait l'air droguée si ce n'est que je n'ai jamais vu cet air d'adoration chez un drogué. L'assiette était encore de l'autre côté des barreaux. "Rachel; Rachel ! Pourrais-je avoir une fourchette ? S'il vous plait." Toujours aucune réponse, hormis une grimace qui aurait pu passer pour un sourire, si son regard n'exprimait pas autant de vacuité. Je répétais ma requête, mettant dans ma voix toute l'autorité que je pouvais mobiliser. Peine perdue, autant parler japonais à un Russe ! Avec un soupir, je m'approchais des barreaux de ma prison et tendant la main vers la nourriture, commençais à manger. Je supposais que le repas avait été préparé par Rachel, elle mangeait visiblement la même chose que moi et je n'imaginais pas ce vampire faire la popote. Elle était assise sur une paillasse qui méritait tout juste le nom de matelas. Une pauvre couverture sale était tirebouchonnée dans un coin. Elle me faisait pitié, mais j'enviais sa couverture. Mon geôlier ne m'en avait pas donné, sans doute craignait-il que je me pende ? Le plat était vraiment bon, les petits légumes étaient cuits à point. Avait-elle une famille ? Probablement, les célibataires étaient plus adeptes des plats vite prêts que de la cuisine maison. Je bus une longue gorgée d'eau fraîche. Hier, l'idée m'était venue de la transformer en eau bénite. Puis, m'apercevant que je ne savais pas comment m'y prendre, je repoussais  au loin cette idée ridicule. Et puis, étais-je certain que ça fonctionnerait ? Mon petit Rémi, il faut que tu arrêtes de délirer ! Je me levais après avoir avalé ma dernière bouchée et m'étirais longuement. Je voulais rester alerte, pour le cas où Bismarck entrerait dans ma cage. Je sautais pour attraper les barreaux d'en haut et me suspendis un moment pour détendre mon dos. Si ce vampire comptait m'inscrire à son menu, j'étais bien disposé à ne pas lui faciliter la tâche. Ce monstre m'avait délesté de mon arme. Bon sang !

Je réfléchis encore à ma situation tout en m'étirant. Ce que j'avais été con de suivre cette … goule ! Ma naïveté m'exaspérait ! Toutefois, à ma décharge, je dirais que l'école de police n'avait prévu aucun module concernant les vampires et les goules. Le piège était habile et ce buveur de sang était intelligent. Je m'étonnais encore que Salmonéus Bismarck et Nicole Pavalli soient de la même espèce. Voire du même Clan. Ils n'avaient rien en commun et c'était la seule chose sur laquelle ils étaient d'accord. Paradoxalement. Imaginer cette abomination entrain de boire la vie d'un innocent quidam me soulevait le cœur. Pourtant, Nicole  devait sûrement faire la même chose de son côté, mais ce n'était pas pareil. Je ne savais pas pourquoi, mais ce n'était pas pareil. Salmonéus Bismarck m'inspirait une répulsion sans borne, ainsi qu'une colère du même acabit. C'était lui le meurtrier de Marie-Louise Romescheck, d'Eugénie Lafosse, d'Albert Sénéchal et de ma bien-aimée Laura; il n'avait même pas cherché à le nier. J'observais la femme à présent endormie sur sa paillasse. L'assiette vide était abandonnée à côté. Sans que je sache pourquoi, elle me faisait penser à un chien attendant le retour de son maître : le sommeil servait à tromper l'attente. J'avais envie de crier pour la réveiller, mais j'étais même certain que ça fonctionnerait. Elle m'avait dit qu'elle s'appelait Rachel Strigoï, mais j'étais à présent persuadé que c'était du baratin. Ce nom sonnait faux, Bismarck avait dû l'imposer à cette pauvre créature. Qui était-elle ? Pourquoi lui avait-il fait subir une telle horreur ? Toutes ces questions me rendaient dingue !....

         Un grincement de porte. Il revenait, on devait donc être la nuit. Il y a des impératifs chez les vampires et Nicole semblait être la seule à y faire exception. Et d'après ce que j'avais pu comprendre, il était fou de rage après elle. Voire fou tout court. J'avisais sa haute silhouette à la lumière crue des néons. Il devait avoisiner les deux mètres, un gabarit vraiment impressionnant, même à notre époque. Alors par le passé, il ne devait pas passer inaperçu. Il avait le teint pâle et ses yeux clairs étaient froids comme l'acier. "Ça y est, tu es réveillé ? Le repas était bon ?" Je hochais la tête en reculant au fond de cette cage. "Que voulez-vous de moi ? lui demandais-je, contenant avec peine ma colère.....

- Ce que je veux de toi ? Te crois-tu si important, petit flic ? Crois-tu vraiment que j'attache de l'importance aux humains ?" A voir son comportement avec Rachel, je ne me faisais aucune illusion sur ce qu'il pensait des pauvres humains que nous sommes. Rien de bien valorisant. "Que me voulez-vous ?" ça ne coûtait rien de reposer la question. "Sais-tu qui je suis ?....

- Un vampire." Ma réponse le fit sourire, un sourire qui me fit voir ses crocs. Ses dents étaient d'une blancheur à faire pâlir d'envie un dentiste. Ses canines étaient d'une longueur surnaturelle et je n'avais franchement pas envie de tester leur tranchant. "Oui, un vampire. Je suis un vampire depuis de nombreux siècles. Tu n'as pas l'air surpris ? Oh je vois, cette petite peste t'a parlé de nous.....

- un peu, c'est vrai." L'admettre ne me coûtait rien. "Juste un peu ? Attends deux minutes… Apporte-moi une chaise." Sa goule obéit et déposa devant lui une chaise en bois. Il s'y assit comme sur un trône, appuyant ses bras sur les accoudoirs. Elle me faisait pitié et j'espérais de tout mon cœur qu'elle n'était pas consciente de ce qu'elle était devenue. En la voyant, un fait était évident pour moi : je ferais tout mon possible pour ne pas finir comme elle. Une colère sourde grondait en moi; j'étais en colère à cause de ce que ce vampire avait fait subir à cette pauvre femme, mais aussi pour toutes les souffrances causé à ses victimes, et surtout à Laura. Une chance que je n'ai pas eu mon arme, sans quoi j'aurais vidé tout mon chargeur dans cette abomination. Ce qui aurait sans nul doute prématuré mon trépas, dans le meilleur des cas. Car je pense que les barreaux de ma cage n'auraient pas tenu un round face à ce vampire. Au lieu de ça, je me retrouvais le confesseur involontaire de la biographie de Salmonéus Bismarck, vampire immortel, assoiffé de sang et de vengeance.

 


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Chapitre 19

Parfois j'en viens à me demander si je n'étais pas prêtre dans une vie antérieure. Comprenez-moi bien, j'ai toujours eu un remarquable talent pour obtenir des aveux de la part des coupables, ou des confidences des suspects. Je ne sais d'où me vient cette faculté, peut-être est-ce dû à ma mine d'enfant de chœur ? Ou à ma façon sobre de m'habiller ? Ou peut-être à la combinaison des deux ? En tout cas, en l'espace de quelques mois, je me retrouvais à endosser le costume de confident pour vampires. Cependant, une grande différence existait entre les deux confidents: autant j'avais pris plaisir l'histoire de Nicole Pavalli, autant je considérais celle de Salmonéus Bismarck comme un dérivatif en attendant soit un moyen de quitter cet endroit glauque, soit l'arrivée de la cavalerie. Franchement, je ne voyais que Nicole Pavalli dans ce rôle, étant parfaitement conscient du fait que mes collègues, aussi compétents soient-ils, étaient à des années-lumière de la réalité de cette affaire. Quoi qu'il en soit, les confidences de ce vampire ont éclairé cette sombre histoire d'une lumière nouvelle.

Je le revois assis sur cette chaise, comme s'il était un roi devant sa cours. Je n'ai jamais compris pour quelles raisons il m'avait raconté tout ça. Probablement pour les mêmes raisons qui poussent tous les meurtriers à raconter leur vie: pour essayer d'être compris, pour justifier l'injustifiable. Il entama son récit par une curieuse question: “Connais-tu Savonarole ?

- Absolument pas, répondis-je après réflexion. Un autre vampire?” Ma question le fit rire. “Non Remarque ça aurait été drôle! Même en tant que goule, il aurait été amusant. Non, Savonarole était un humain. Il est mort en 1498, pendu comme un vulgaire assassin dans la ville Florence, sous les yeux du peuple et des Médicis qui dirigeaient alors cette cité magnifique.” Le timbre de la voix de ce vampire s'était arrondi, comme sous l'effet d'un plaisant souvenir. “C'était un prédicateur et il était doué, l'animal ! Ses sermons ne parlaient que de flagellation de la société, de la purification de ses mœurs et de rénovation de l'Eglise. Il n'avait pas froid aux yeux, ça non !” Je ne voyais pas le rapport entre ce vampire-ci et ce prédicateur-là, mais je n'avais pas l'intention de le brusquer. “Comme je te disais, les Médicis contrôlaient Florence. Ricardo di Médicis était un des ancêtres de cette noble famille, la force dans l'ombre qui leur donnait l'ascendant nécessaire. Tu comprends?

- Oui, je comprends.

- A l'époque qui nous intéresse, vois-tu, c'est Laurent de Médicis qui régnait. Et c'est sur les conseils d'un de ses bons amis qu'il convia Savonarole à prêcher dans cette belle cité de Toscane. Il prêcha encore et encore, sans relâche. Il finit même à pousser l'outrecuidance jusqu'à monter la population contre les Médicis... Même un chien ne mord pas la main qui le nourrit !” La colère qui enflamma soudain ses traits me fit frémir. D'un geste brusque, il attira à lui Rachel et la mordit sans préambule. La pauvre femme couina de surprise mais ne se débattit pas. Je réprimais un frisson d'horreur avec difficulté, je ne voulais pas lui montrer ma peur. Quand il eut fini de boire, il la relâcha sans y prêter attention. La pauvre femme s'écroula comme un chiffon. Il reprit d'une voix plus calme. “Il intrigua comme le plus chevronné des courtisans. L'Italie fut ravagée par la guerre et les Médicis s'enfuirent de la ville. Seul Ricardo resta. Son existence ne fut pas trahie par le reste de la famille, par ses membres mortels. Après tout, il n'avait rien à craindre, il était fort et sa magie puissante.

- Et puis, il vous avait, vous.” La remarque s'échappa de mes lèvres malgré moi. Mais au lieu de l'explosion de fureur que je redoutais, il me regarda d'un air absent, ses pupilles froides me frôlant sans y penser. “Oui, il m'avait, moi. Je lui étais tout dévoué. C'était un grand mage. Il avait trouvé le moyen de préserver notre race de la fureur du soleil. Je l'assistais depuis des siècles et ses recherches avaient abouti quelques années plus tôt. 1442, l'année où notre Clan avait vaincu soleil ! Ricardo n'allait pas laisser ce prêcheur lui barrer la route. Mais je m'égare... Une fois les Médicis loin de la ville, Savonarole prit les choses en main. Il proclama Jésus le Crucifié souverain de Florence et fit interdire les fêtes et les jeux. Puis il entama une campagne de conversion des débauchés et des prostituées. Enfin, pour faire bonne mesure, il bannit les Juifs. En fin de compte, il fut très difficile pour toute la Société de Minuit pour trouver des proies. De plus, Ricardo, tout puissant fut-il, avait des idées arrêtées sur les qualités d'une proie idéale... C'est à cette époque que certains d'entre nous ont commencé à disparaître. Leurs corps furent abandonnés à la morsure du soleil et dissous par ses rayons.

- Une question, ne pus-je m'empêcher. Vous venez d'évoquer une découverte de Ricardo...

- Oui, oui.” Il s'agaça, secouant la tête comme pour chasser un insecte. “Mais les conditions d'adminstration de cet élixir étaient impératives: il devait être donné à un vampire à la faveur d'une éclipse. De nombreuses expériences ne permettaient pas d'en douter. Sans cet impératif cosmique, l'élixir donnait naissance à... des abominations.” Dans la bouche de Bismarck, ce mot prenait des accents vraiment terrifiants. “Bref, nous finîmes par comprendre qu'un groupe d'humains s'était organisé en milice ennemie de notre race. Avec la bénédiction de Savonarole en plus, qui nous voyait comme une insulte à son Jésus. Ils portaient l'habit rouge des bourreaux et des crucifix en bois, bénis par Savonarole en personne. La Meute Rouge, voilà comment ils s'étaient baptisés. Ils nous traqué pendant des années. Nous avons dû aller nous installer dans une ville voisine jusqu'à la mort de ce prêcheur fou. Je me souviens de la joie que j'ai ressenti à la vue de son cadavre puant suspendu au gibet.” Je bus une gorgée d'eau pour réprimer la nausée qui menaçait de m'envahir. “Nous avons cru que sa mort avait dissout la Meute Rouge. Et pendant longtemps, nous avons été tranquilles et nous avons repris peu à peu nos petites affaires. Le Clan Tremere a perdu 10 de ses enfants sur les trois ou quatre ans de sévices de cette Meute infernale!” Ce chiffre ne me paraissait pas aussi alarmant que le ton de Bismarck la laissait entendre. “10! Ils avaient osé détruire 10 de nos mages! Bref, nous avons dû redoubler de prudence le temps que ces humains disparaissent. Après tout, le temps est notre allié, pas le vôtre! J'ai personnellement dégusté l'un des leurs... Puis la Meute Rouge a fini par disparaître et Florence est restée sous l'influence des Médicis, même si ceux-ci n'étaient que des membres de notre Clan.” Il se leva de son siège et arpenta un moment le local, tournant autour de ma cage. Le savoir derrière moi me rendait nerveux. Je savais parfaitement que Bismarck était conscient de ma nervosité et qu'il jouait avec mes nerfs. Bien que moins mélodieuse que celle de Nicole Pavalli, la voix de Bismarck possédait les mêmes qualités quasi hypnotiques. Son récit faisait naître des sortes de visions au fond de mon esprit. Je ne sais comment expliquer ce phénomène, sauf en utilisant le terme d'hypnose vampirique. Les images mentales que cette créature me faisait partager me choquaient de par leur violence. Il sentait, il percevait mon malaise et s'en réjouissait. Il tourna plusieurs minutes autour de ma prison sans rien dire. Pris d'une impulsion, je me relevais pour lui faire face. “Laurent de Médicis mourut deux ans avant son cher Savonarole, laissant la ville uniquement sous direction occulte des Tremere. Pendant presque quatre-vingts ans, nous avons eu la paix avec cette satanée Meute. Pour tout te dire, nous pensions vraiment qu'ils avaient bel et bien disparu. Puis des rumeurs ont fini par arriver jusqu'à Florence à propos d'exécutions de vampires à Naples.

- D'autres... Tremare ?” Je n'ai pas pu m'empêcher de poser la question. “Tremere ! Cria t-il en frappant les barreaux. N'écorche pas ce nom ! Non, Naples est sous la coupe d'un autre Clan. Sans doute, les membres de cette Meute se sont-ils dispersés à la mort de leur protecteur. Petit à petit, sous l'impulsion de Ricardo, plusieurs messagers Tremere se sont rendus dans les capitales vampires pour informer les autres Clans et récolter des informations.” L'admiration perçait dans la voix du vampire. Je comprenais cette admiration à travers le portrait que Nicole et Bismarck en brossaient. Pour une créature qui vivait en pleine Renaissance, il me paraissait avoir des idées avant-gardistes. Il devait être une créature exceptionnelle pour avoir mis au point ce réseau de messagers. “Ça a fonctionnait son système ?

- Oui, bien évidemment. Ricardo di Médicis était de ceux dont l'autorité naturelle était presque palpable. Ses recherches étaient connues et respectées par tous les Clans. La Meute rouge initiale a fait des émules et plusieurs troupes de milices se sont organisées dans toute l'Italie. Ces pitoyables créatures humaines se sont délectées à nous traquer et à nous détruire ! J'étais l'un de ses messagers. Il m'a fait cet honneur. Je me suis rendu compte des horreurs qu'ils commettaient sur nous. Certains essayaient de nous exorciser. J'avoue que je n'ai pas réussi à résister à l'envie d'en tuer quelques uns ! Pour ceux de ma race qu'ils avaient massacrée. Massacre pour massacre ! Sang pour sang !” Le regard du vampire étincelait de rage. Je n'osais parler, de crainte d'augmenter son trouble. Ricardo di Médicis me fascinait. Après une pause, Bismarck m'expliqua que son mentor voulait créer un conseil de vigilance, où chaque Clan serait représenté et dont le but aurait été de tenir à l'œil ces Meutes Rouges et de désamorcer la menace qu'elles représentaient. C'était le but de ses messagers. Pendant un long, très long moment, le vampire m'expliqua encore et encore le souhait de son mentor. Alors qu'il s'échauffait, il s'interrompit brusquement avec une grimace. Je compris alors que la soif le tenaillait. Ce qui expliquait son air hagard, même si son esprit dérangé en était la cause majoritaire.

Quoi qu'il en soit, il nous planta là, sa goule et moi, sans un mot de plus, sans instructions particulières et partit dans la nuit, le bruit des ses talons résonnant dans le local.

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Chapitre 20

 

Les recherches ne donnaient rien. Elle avait perdu une journée à essayer de localiser la femme qui avait piégé Rémi Dumarchant, en vain. Elle soupçonnait Bismarck d'en avoir fait sa goule, c'était bien son style. L'ancien serviteur devait aimer son nouveau costume de maître. Elle était bien consciente que sa méconnaissance de la ville constituait un obstacle important. Elle ne voulait pas perdre du temps à fouiller la ville. Sans compter qu'elle connaissait un moyen plus efficace pour obtenir des informations pertinentes. La ville était sous la coupe de l'un des Clans de la Société de Minuit, certes pas son propre Clan, mais son statut particulier lui permettait de demander des l'aide en cas de besoin, y compris aux autres Clans. Il restait juste à trouver l'endroit où les Buveurs de Sang de cette ville se réunissaient la nuit venue. Le soleil brillait c'est vrai, mais il faisait malgré tout froid. Après tout, on était en décembre. Un mois s'était écoulé depuis la mort de l'amie du policier. Et depuis, plus aucune nouvelle victime n'avait été trouvée. Ou Bismarck avait calmé ses ardeurs meurtrières ou cette femme était la dernière pièce de son puzzle sanglant. Quant à savoir comment elle s'appelait... Rémi Dumarchant aurait été là, elle aurait pris le temps de lui expliquer certaines choses. Mais elle n'accordait aucune confiance aux autres policiers. Elle marcha un moment dans le centre-ville, à la recherche d'un cybercafé. L'information était devenue remarquablement accessible ces dernières décennies. Elle n'aurait aucun mal à lister les endroits où la Société de Minuit de cette ville se réunissait. Elle finit par trouver une enseigne prometteuse, Virtual Bistrot. Du seuil, elle avisa le décor résolument moderne comprenant de nombreuses tables rondes supportant des écrans plats. Beaucoup étaient occupées par une population jeune hétéroclite. L'air était saturé d'odeurs que son instinct de vampire qualifiait d'appétissantes. Mais elle s'était nourrie quelques heures à peine et sa faim était endormie. Elle s'avança vers le bar, au fond, et commanda un café. Le barman la lorgnait sans vergogne et lui demanda si elle voulait un accès à un ordinateur. Elle opina tout en observant le grand balèse chevelu qui tenait le bar. Un petit badge sur son T-shirt de métalleux indiquait qu'il s'appelait Jeff. Elle prit le café et le tiquet d'accès valable une heure et alla s'installer à un poste libre. Plusieurs endroits pouvaient convenir, d'après ce que le moteur de recherche avait trouvé. La ville abritait plusieurs clubs ouverts toute la nuit, de nombreuses boîtes de nuit, bars lounge. La seconde partie de sa recherche consistait à trouver des images de ces endroits. Elle ne doutait pas que les vampires de cette ville souhaitaient informer les autres Clans de leur puissance. Leur blason devait figurer bien en vue. “Bonjour, charmante demoiselle.” Elle quitta son écran des yeux et jeta un regard neutre sur l'homme qui venait de l'aborder ainsi. Sanglé dans un costume bleu foncé, la pochette verte assortie à sa cravate, l'homme était clairement d'origine latine. Il parlait sans accent mais paradait tel un paon. Ne souhaitant pas l'encourager outre mesure, elle se contenta d'un signe de tête avant de retourner à sa recherche. “Je peux vous offrir un verre ?” Il était insistant. A voir son attitude, il devait se croire irrésistible. Elle jeta un autre regard sur l'importun, le reporta sur la tasse de café qui tiédissait gentiment sur sa table avant de s'intéresser à nouveau à son écran. Pour le moment, aucun club ne comportait l'indice qu'elle recherchait. “Dans un endroit plus classe qu'ici, j'entends.” Elle soupira. Pourquoi elle ? “Ecoutez-moi, monsieur...

- Appelez-moi Tony.

- Je ne veux pas boire un verre avec vous. Ni maintenant ni plus tard. Je veux que vous me laissiez tranquille. Bonne journée.” Là-dessus, elle cessa de s'intéresser à cet homme. Il finit par partir. Au bout d'un moment, alors que son ticket allait bientôt ne plus être valide, elle trouva ce qu'elle cherchait. Un club gothique du nom de La Faim de la Nuit répondait aux critères : très sélect, club privé avec accès sur invitation, mais surtout le blason du Clan Gangrel en guise de logo. Elle nota l'adresse, mémorisa le plan et régla sa note au bar avant de sortir. Elle traversa les grandes artères d'un pas tranquille. Le club était vraiment bien situé, juste à la limite du centre des affaires, de sorte qu'il était bien visible par ceux qui partaient ou revenaient du travail. La Faim de la Nuit... le jeu de mot la fit sourire. Ecrit en lettres d'argent, le nom s'ornait, en arrière-plan d'un profil de tête de loup hurlant d'un rouge sang. Ils avaient mis le paquet : la porte noire d'inspiration médiévale, encadrée par deux blasons stylisés du Clan Gangrel. Sur la porte, une plaque en laiton indiquait que l'endroit accueillait ses membres à partir de 23h l'hiver et minuit l'été. Parfait, elle avait du temps pour se préparer. Il lui faudrait quelques armes, pour le cas où les Gangrel de cette ville ne seraient pas aussi amicaux qu'à l'accoutumée. D'une manière générale, les Gangrel et les Tremere n'avaient aucune animosité les uns envers les autres. Sans pour autant être alliés, car aucun Clan ne s'allie vraiment avec un autre. Sauf s'ils y trouvent un intérêt mutuel. La capture de Bismarck entrait justement dans cette catégorie, son crime était une abomination pour l'ensemble des Clans. Mais quelques armes ne feraient pas de mal. Sans compter aussi un petit renouvellement de sa garde-robe. Après tout, on peut être vampire, chasseresse et garder un minimum de coquetterie ! Elle s'accorda quelques heures plaisantes dans les boutiques de vêtements où sa silhouette fine et musclée enchanta les vendeuses et les hommes égarés là avec leur compagne. Elle demanda l'adresse d'une boutique gothique à l'une des vendeuses dont le look était prometteur. L'endroit indiqué la ravit : les vêtements étaient superbes, d'une étoffe douce et soyeuse comme elle aimait. Elle trouva également quelques bijoux qui s'accordaient parfaitement avec ses nouveaux vêtements. Après tout, ce soir elle devait faire honneur à son Clan. Puis ses pas la conduirent jusqu'à une autre sorte de boutique, nettement moins féminine mais tout aussi utile : une armurerie. Là encore, son entrée ne passa pas inaperçue, ce genre d'endroit n'étant généralement pas fréquenté par des jeunes filles aux bras encombrés de paquets de vêtements chics. Aussi, le détaillant la regarda t-il d'un air à la fois curieux et prudent. Sans un mot, elle fit le tour du magasin, jaugeant les objets proposés aux chalands. Beaucoup de dagues et d'épées, mais la majorité était avant tout décorative. Donc d'aucun intérêt pour elle. Elle ne se voyait pas se battre avec une dague en fer blanc qui casserait au premier choc. Ça ferait désordre et risquait de lui coûter cher. “Puis-je vous renseigner, Mademoiselle ?” Le vendeur s'était décidé à venir aux nouvelles quand il avait constaté qu'elle ne s'était apparemment pas égarée dans son échoppe. D'une voix posée, elle lui expliqua sa requête. Il parut surpris un moment avant de la conduire vers une série de dagues, certes très jolies, mais résolument trop décoratives à son goût. “Je crains, cher monsieur, que vous me compreniez mal. Je recherche de vraies dagues, pas ces pâles copies de cinéma.” Elle appuya sa remarque d'un regard décidé. “Mademoiselle, ce genre d'article est moins maniable que ceux que je vous propose ici. L'acier de ces dagues est plus lourd, de plus elles sont vraiment tranchantes. Si vous souhaitez agrémenter votre intérieur...

- Ecoutez-moi, ce que je compte en faire ne vous regarde pas. Si vous ne vendez que ces contrefaçons, dites-le moi et ne me faites pas perdre mon temps.

- Excusez-moi, je ne voulais pas me montrer indiscret. Bien sûr que je vends de d'authentiques dagues. J'ignorais que j'avais affaire à une véritable connaisseuse. Suivez-moi.” Il la conduisit dans une petite salle au fond de sa boutique, fermée par une lourde porte à barreaux. Il ouvrit le verrou qui empêchait aux indiscrets de franchir la frontière. L'arrière boutique était agrémentée de vitrines fermées à clé et éclairées de telle façon à mettre les lames en valeur. Il y avait là un véritable arsenal : épées, dagues, poignards, stylets... Elle fit lentement le tour de la pièce, évaluant la valeur de ces nouveaux articles et demanda à en voir certains de plus près. Une épée attira son attention : sur la lame courait une vrille de rose dont la fleur s'épanouissait sur la garde. “Faites attention, elle est lourde”, la prévint le vendeur en la décrochant avec soin. Elle était bien équilibrée, l'acier était de bonne facture, certes pas aussi bon que celui de l'épée qu'elle avait perdue le siècle dernier, mais excellent tout de même. Elle déposa ses paquets dans un coin avant de prendre du champ et de faire quelques mouvements avec l'épée. Son adresse stupéfia le vendeur. Il ne devait sans doute pas croiser souvent de jeune femme qui maniait plusieurs kilos d'acier avec une telle désinvolture ni une telle dextérité.”Elle me plait, je la prends. Je suppose que vous avez son fourreau ainsi que son certificat d'authenticité ?

- Tout à fait, Mademoiselle.

- Bien. Voyons ces dagues, à présent.” Elle prit tout son temps pour faire son choix. Le brave homme ne cherchant même plus à orienter ses choix comme il avait tenté de le faire au début. Par contre, il était évident que cette jeune femme l'intriguait fortement. Certes, il ne faisait aucun doute qu'elle s'y connaissait côté armes blanches, et son habileté à manier l'épée le fascinait. Lui-même maniait l'épée lors de reconstitutions historiques ou médiévales, mais pas aussi bien qu'elle. Son look la classait dans la catégorie gothique, où l'on trouvait pas mal de fans de reconstitutions médiévales, mais il n'avait jamais entendu parler d'une personne comme elle. Il ne fait aucun doute que son talent ne serait pas passé inaperçu dans ce genre de milieu, les femmes maniant l'épée étant rares. “Vous m'écoutez ?

- Pardon.

- Je prends celle-ci.” Elle lui tendit un dague, ornée d'un motif cabalistique, très en vogue chez les gothiques, du moins la version décorative. Elle la soupesa encore un moment, la faisant virevolter dans sa main avant de la lui donner pour de bon. Elle le suivit du regard lorsqu'il prit dans un tiroir les papiers affairant à ses achats, remplissant les cases tout en la lorgnant du coin de l'œil, sans doute voulait-il s'assurer qu'il ne rêvait pas. “Puis-je voir vos papiers, Mademoiselle ? C'est la règlementation en vigueur dans notre boutique, s'excusa t-il.

- Bien entendu. Aucun problème. “ Elle lui tendit des papiers d'identité, résolument faux, mais réalisés avec talent par des faussaires de son Clan. L'identité était ce qui posait le plus de problème chez les Buveurs de Sang d'aujourd'hui. Les humains exigeaient de pouvoir identifier chacun à n'importe quel moment. Les prédateurs de la nuit s'étaient donc adaptés à ses nouvelles exigences et un réseau spécialisé avait vite vu le jour. Une fois qu'il eut tout noté, il lui rendit ses papiers avant de la précéder jusqu'à la caisse, tenue par un autre homme, sensiblement du même âge. Un client les regarda approcher, curieux de voir les achats de cette jeune femme. Nicole posa avec soin ses paquets de vêtements contre le comptoir avant de payer cash l'ensemble de ses lames. Elle empila sans rechigner les billets de banque sur le comptoir, sous les yeux ahuris des deux hommes. “Voulez-vous être tenue au courant de nos nouveaux produits, Mademoiselle ?

- Non, merci. Je crois que j'ai tout ce dont j'ai besoin.” Le second vendeur la dévorait des yeux. Visiblement, elle rentrait dans ses canons de beauté. Il prit une grande inspiration avant de lui parler. “Voulez-vous... Voulez-vous que je vous accompagne à votre voiture ?

- Je vous remercie, mais je suis à pied.” Elle récupéra tous ses paquets dans une main, ses nouvelles lames dans l'autre et sortit. Le temps était splendide, frai certes mais le soleil se couchait. La soirée s'avançait, elle avait encore le temps d'une petite chasse avant de se rendre à la Faim de la Nuit. Elle tenait à s'y rendre rassasiée, histoire de ne pas être distraite par les arômes des humains qui fréquentaient sans aucun doute l'endroit. Elle voulait garder l'esprit clair, la vie de Rémi en dépendait. Des pas précipités derrière elle la firent se retourner. Un homme se tenait à quelques pas d'elle, l'air de vouloir en découdre. Elle le reconnut comme étant le client de l'armurerie. Que voulait-il ? Depuis combien de temps la suivait-il ? Il la menaçait avec quelque chose dans sa poche, probablement une arme à feu, vu son assurance. “Aboule ton fric, poulette. Et pas de blague.” Son souffle était rauque, ce n'était sans doute pas la première fois qu'il faisait ce genre de plan à une femme. Nicole regarda autour d'elle, la rue était éclairée, mais il y avait peu de passants. Mais la chaussée grouillait de voitures, beaucoup trop pour ce qu'elle avait en tête. Aussi reporta t-elle son attention sur son agresseur. Son regard froid ne la quittait pas. “Inutile de crier, tu seras morte avant que quelqu'un ne vienne à ton secours” La méprise la fit sourire intérieurement. Elle recula vers une ruelle, s'assurant que son agresseur la suivait. Ce qui était le cas, bien sûr. Il avait vu la pile de billets dans l'armurerie, il pensait qu'il y en avait d'autres dans son sac à main. Ce en quoi il avait raison. Il pensait aussi qu'il n'aurait aucun problème avec cette frêle jeune femme. Ce en quoi il avait tord. Elle accéléra le pas, courant presque. Lorsqu'il fut suffisamment engagé dans la venelle, elle s'arrêta. “Tu me donnes ton fric et tu vis. C'est pas plus compliqué que ça. Allez sois mignonne, ne m'oblige pas à devenir méchant.

- C'est vrai ? Tu sais être méchant ?” La remarque le désarçonna. Il y avait un couac dans le scénario. La nana n'était pas sensée faire de l'esprit, mais avoir peur et lâcher le sac. Histoire d'avoir l'air plus menaçant, il sortit son arme de sa poche. Juste au cas où elle croirait qu'il bluffait. “Je vois, fit Nicole, tu es un vrai méchant, alors. Mais moi, je ne suis pas une faible femme.” Elle posa avec soin l'ensemble de ses paquets, lames comprises, et s'avança tranquillement. Il avait bien fait de la braquer, celui-là, il lui éviterait de chasser. Elle marchait sur lui sans se presser, sachant qu'il n'oserait pas fuir devant une femme. Il était persuadé d'être le plus fort. Lorsqu'elle fut assez près de lui, elle ôta ses lunettes, laissant ses prunelles argentées œuvrer. L'homme se perdit dans la contemplation de ces iris, la laissant approcher encore. Elle n'avait aucune pitié pour ce genre d'hommes qui profitaient de la peur des femmes pour les agresser. Elle sentit son pouls s'emballer tandis qu'elle le prenait dans ses bras. Toute envie de résister avait disparu. Du bout de la langue, elle caressa la carotide, les arômes de son sang lui titillaient l'appétit. “Souhaite-moi bon appétit, lui chuchota t-elle.

- Bon appétit”, répéta t-il en fermant les yeux. Dans la pénombre de cette ruelle où l'homme avait cru s'enrichir facilement, il ne sentit pas les crocs d'ivoire de Nicole s'enfoncer dans la chair tendre de son cou. Il mourut sans s'en rendre compte. Elle effaça ses traces avant de l'allonger derrière des cartons. Elle reprit ses paquets et ressortit tranquillement de la ruelle. La nuit enveloppait la ville, à présent. Il était temps de se préparer pour la soirée.



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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 14:36

Chapitre 13

 

Midi approchait, il était temps de se lever. Même si elle bénéficiait de la magie propre à sa condition, il lui était difficile de sortir lorsque l'astre solaire était en plein essor. Pourtant sa particularité, que ceux de sa race qualifiaient d'anomalie, lui rendait de fiers services depuis cette nuit lointaine qui l'avait vu renaître d'entre les morts. En effet, ces principaux ennemis dormaient d'un sommeil mortel alors qu'elle pouvait marcher parmi les vivants. Elle devait sa nouvelle existence à un homme et à sa magie. Sans doute l'homme le plus honorable qu'elle ait connu, bien qu'il lui ait avoué, lorsqu'elle l'avait rejoint dans le monde des non humains, qu'il n'était plus humain depuis de nombreux siècles avant sa naissance. Il avait mis toutes les connaissances que son clan avait accumulées depuis l'aube des temps pour créer un être telle qu'elle. Il avait mis tout son amour à lui rendre la vie alors qu'elle était aux portes de la mort. Empoisonnée par le misérable chien qu'elle traquait aujourd'hui. Le même scélérat qui avait enfoncé un pieu maudit dans le c--ur de son Père dans le Sang, l'homme qui l'avait arraché à une vie d'humiliations et de souffrance. Evoquer le souvenir de Ricardo di Médicis lui faisait toujours l'effet d'une blessure encore fraîche, mais elle devait se souvenir pourquoi elle traquait Salmonéus. Elle savait que ceux de sa race avaient parfois la mémoire courte. Mais elle devait se rappeler ce jour horrible où elle avait trouvé le corps putride de son Père dans la cours du palais, décapité, la poitrine meurtrie d'un pieu obscène planté dans le cœur. Un seul homme pouvait s'introduire ainsi dans son refuge diurne, le traîner dans la cours ombragée et le supplicier de la sorte… Un seul homme connaissait son secret et le moyen de le détruire. La rage grondait au tréfonds d'elle-même, en dépit du temps. "Salmonéus, j'aurais ta peau où que tu te caches !" lança t-elle à la pénombre de son propre refuge. Elle imagina avec terreur de ce qui aurait pu se passer si elle avait choisi de partager le refuge de Ricardo, comme il lui en avait fait la demande…

Plusieurs siècles durant, elle l'avait cru annihilé. Elle avait assisté, tapie dans l'ombre, à sa destruction rituelle par un groupe de sorciers humains. La scène n'était pas belle à voir, l'odeur à peine supportable, mais elle avait tenu à rester pour voir. Par respect pour Ricardo. Comme elle portait son nom, par respect. D'ailleurs le sien propre, elle l'avait oublié depuis longtemps et lui importait peu. Elle n'avait plus rien à voir avec cette enfant méfiante qu'elle avait été alors.

Ruminer des idées noires ne lui réussissait jamais. Elle devait sortir. Elle devait se nourrir. Elle n'avait pas le choix, mieux valait ne pas trop attendre, sans quoi la faim la pousserait à des extrêmes de cruauté envers le malheureux qui croiserait son chemin. L'homme est un loup pour l'homme, affirme le proverbe. Que dire alors de créatures telles qu'elle ? Un être qui se repaît du flux vital d'humains. Sans un mot, elle quitta son refuge près du fleuve. L'odeur de la terre humide lui emplit les narines. Il serait bientôt temps d'abandonner cet endroit. Elle ne restait jamais très longtemps dans le même refuge. Elle passait pour un monstre aux yeux de ceux de sa race. Son clan ne l'avait admise en son sein que parce qu'elle représentait une réussite sans précédent de leur magie. Pour eux, elle n'était qu'un chef d'œuvre de magie, une vitrine vivante pour leur renommée et celle de leurs pouvoirs. Ça lui convenait très bien, des l'instant où elle n'avait pas de comptes à rendre à quiconque et était libre de ses mouvements. Ceux de son clan portaient sur elle un regard curieux et intrigué qui la dérangeait. Les autres la craignaient. Ce qui lui conférait une paix incontestable. Mais elle n'était pas à l'abri de jeunes vampires, qui la voyaient comme un trophée ou une abomination qu'il fallait détruire. De telles rencontres lui étaient déjà arrivées dans le passé et elle n'avait dû sa survie qu'à son talent pour le combat et un instinct de survie surdéveloppé. L'expérience lui avait appris à ne jamais rester au même endroit pour dormir. Bientôt, il lui faudrait se mettre en quête d'un nouvel abri. Elle marchait dans la brume de cette journée de novembre avec un sentiment de puissance qui lui était familier. Elle était la créature la plus dangereuse marchant sur cette terre ! Elle rit doucement, faisant sursauter une grand-mère qui rentrait chez elle. "Un coup de main, madame ? demanda t-elle, en regardant l'énorme caddie que la petite vieille traînait derrière elle.

-Volontiers, ma petite, répondit elle, inconsciente du danger. Vous êtes bien aimable. Je n'habite pas loin." Elle raccompagna la vieille dame, humant son odeur de roses fanées, se disant que bientôt, elle partirait pour l'autre monde. Elle ne lui voulait aucun mal. Elle ne souhaitait pas que la dernière chose qu'elle voit avant de trépasser soit des crocs affamés. Elle suivait un code moral, en dépit de sa condition. Jamais de vieux, ni d'enfants. Se repaître de la lie de la société, purger la population de ses éléments les plus pervertis, même si elle n'en n'avait pas conscience. "Nous sommes arrivées, annonça la dame. Merci beaucoup.

-Mais de rien, je vous en prie.

-vous entrerez bien un petit moment ? Prendre un café ?"Nicole sentait son appel à peine masqué. La solitude, la solitude terrible des vieilles gens, à qui on ne rend jamais visite. "Volontiers" Elle suivit la dame jusqu'à sa cuisine, où elle déposa le lourd caddie sans effort. Elle la regarda déballer ses emplettes avec un regard ému. Elle échangea des banalités avec cette petite vieille tandis que la cafetière crachotait son breuvage. Le café était amer, à l'odeur. Elle ne pouvait en boire, bien sûr, mais elle avait repéré une plante qui l'aimerait sûrement…

Combien de temps avait elle passer dans cette cuisine ? Aucune idée. Elle avait senti une présence pas loin de la maison. Une présence humaine, mais dont les sombres harmoniques aiguisaient son appétit. Un homme finit par apparaître sur le seuil de la cuisine. "Bonjour maman. Tu ne nous présentes pas ?"L'homme était d'une corpulence impressionnante, portait des vêtements sales et des cheveux remarquablement mal coiffés. Il lançait des regards concupiscents à Nicole, détaillait ses vêtements bien coupés, son physique de sylphe. "Mon chéri, je te présente Nicole. Elle m'a aidé à porter mes courses, ajouta t-elle avec une nuance de reproche dans la voix. Nicole, je vous présente, Guy, mon fils." Elle lui serra la main en souriant. Ce contact lui permis de palper son âme. Etait-il l'âme corrompu qu'elle avait sentie ? Des images fulgurèrent dans son esprit, des images déplaisantes, choquantes d'enfants qui lui rappelèrent son amie Priscilla. La colère s'alluma en elle, et elle dut lutter contre son instinct qui la poussait à tuer cet homme sur le champ. Pas maintenant, pas devant sa mère, elle ne méritait pas ça. L'homme avait pris place à table, trop près d'elle pour son propre bien. Les images encombraient l'esprit de la jeune femme, tandis qu'il s'essayait à une lamentable tentative de séduction. La petite vieille, Bérénice, lui avait appris cette dernière, le regardait faire avec de grands yeux indulgents. "Seigneur, réalisa alors Nicole, elle ignore tout des penchants pervers de son fils !" Une partie d'elle-même, la partie affamée, se réjouissait de l'aubaine : elle venait de trouver son festin ! L'amener à la suivre serait un jeu d'enfant. Le jeu de mots lui fit esquisser un sourire, que l'homme prit pour un encouragement. Viens, viens par ici, petite mouche, disait l'araignée…

Comme prévu, l'homme prétexta avoir des courses à faire en ville et se proposa de la raccompagner. La fraîcheur de la journée, la dureté de la route, n'importe quel prétexte aurait fait l'affaire. Avec un plaisir macabre, Nicole entra dans son jeu. Elle salua Bérénice et partit en voiture avec Guy. Comme prévu, il fit preuve de maladresse dans ses gestes, occasionnant maints frôlements et tripotages furtifs. Comme prévu, il argua devoir faire un détour pour déposer quelque chose à la décharge. Nicole n'y voyait aucun inconvénient, bien au contraire. Une fois arrivés à la décharge, qui se révéla sans gardien, il se fit plus pressant dans ses gestes, plus brutal aussi. Il n'était pas habitué à se qu'on lui résiste et Nicole se fit un plaisir de lui résister. La proie n'était pas celle qu'il croyait. "Petite garce ! cria t-il. Laisse-toi faire, voyons… " Son souffle devint rauque tandis qu'un désir pervers montait en lui. "Viens là, laisse toi faire …

-C'est ce que vous leur dîtes ? demanda Nicole en l'empêchant de déchirer ses vêtements. Ça marche avec eux ou votre force suffit à les faire taire ?" La question lui coupa la respiration, le laissant interdit. Puis la colère prit le dessus, poussée en avant par une vague de culpabilité mauvaise. "Que… que veux tu dire ? De quoi tu parles ?

-Vous voulez vraiment que je vous le dise ? Les enfants que vous contraignez à jouer à vos jeux débauchés. C'est d'eux que je parle !" Une rage sans nom s'alluma dans ses yeux. Nicole baissa brièvement les yeux et constata avec une joie mauvaise que le pantalon de l'homme avait retrouvé une banalité inoffensive. Elle ne vit pas partir la claque qui lui fit tomber ses lunettes de soleil. "Sale pute ! Chienne ! Je vais t'apprendre !" Quoi qu'il ait voulu faire, l'habitacle de la voiture le gênait dans ses mouvements. Rien ne se passait comme il avait prévu. Nicole ne put se retenir de rire. Lorsque ses yeux, brillants comme de l'argent liquide, croisèrent ceux de l'homme, celui-ci ne put retenir un pitoyable couinement. "ça ne se passe pas comme tu l'avait prévu, n'est ce pas ? Comment tu te sens maintenant ? Apeuré ? Terrifié ? Bienvenu dans le cauchemar des pauvres gosses que tu contrains." Sa voix avait changé, elle contenait une note de sauvagerie qui fit bredouiller l'homme assis au volant. Il réalisa en une terrible seconde que le piège qu'il avait préparé pour cette séduisante inconnue était en train de se refermer sur lui. Le gardien de la décharge n'était jamais là le mardi, du diable s'il savait pourquoi. Personne pour venir à son secours. Personne savait qu'il était là, pas même sa mère. Malheur ! Ces yeux le terrifiaient au-delà de tout ce qu'il connaissait. Il n'en avait jamais vu de semblable. Leur couleur, leur brillance lui faisaient stupidement pensé aux monstres des contes que sa mère lui lisait quand il était minot. Leur éclat sauvage lui rappelait celui des fauves qu'il voyait dans les reportages à la télé, des fauves qui guettent leur proie. Puis la vision des crocs lui arracha un cri qui effraya les corbeaux qui fouillaient sur les tas d'ordures alentours. "Tu as peur ? Un homme grand et fort comme toi ? murmura Nicole en se rapprochant de lui. Elle avait passé son bras par-dessus son épaule, d'un geste qui aurait pu paraître tendre dans d'autres circonstances. Sa main gauche tenait fermement sa proie pour l'empêcher de s'enfuir. "Là, là, doucement … Laisse toi faire, cajola t-elle, singeant les paroles qu'il avait dit à peine une demi heure de ça. Ça ne fera pas mal. Du moins pas longtemps" Le contact de ses doigts glacés le fit tressaillir. Il chercha à se dégager, mais une main de fer le maintenait immobile. L'autre main tentait de défaire ses boutons de col. En d'autres circonstances, c'est avec plaisir qu'il se serait laisser faire, mais là, son instinct lui rugissait de partir, de fuir aussi loin que possible. Hélas, son corps ne pouvait lui répondre, prisonnier qu'il était d'une volonté plus implacable que la sienne… Il sentit quelque chose le piquer au cou, puis une violente douleur irradia dans tout son être. Comme un soleil rouge qui explose aux confins de lui-même. Tandis qu'il sombrait, il sentit son corps peser de plus en plus, ses membres s'engourdir avec, malgré tout, une peur indicible qui lui vrillait le ventre et le paralysait plus sûrement que n'importe quelle camisole. Il mourut sans s'en rendre compte. Son coeur cessa de battre sans douleur inutile.

        

Nicole sortit de la voiture. L'air de novembre était vif. Délicatement, elle essuya les commissures de ses lèvres et lissa ses vêtements. Oui, pas moyen d'y couper, il lui faudrait changer de refuge ce soir même. Elle contourna la voiture pour ouvrir la portière. Elle dégrafa la ceinture de sécurité –précieuse alliée- pour sortir le corps de l'homme. Elle le prit dans ses bras, aussi lourd pour elle que le caddie de sa mère, et marcha vers le tas d'ordures le plus proche. Les corbeaux croassèrent un peu pour tenter de chasser l'intruse, mais cessèrent bien vite quand ils virent l'offrande qu'elle leur apportait. Elle le déposa doucement avant de redescendre sur l'herbe. Et tandis que les corbeaux s'approchaient de la dépouille, elle pria pour l'âme de cet homme, dont les pêchés l'avaient placé sur sa route. Puis sans plus de cérémonie, elle marcha jusqu'à la route et se dirigea d'un pas tranquille vers la ville, à quelques kilomètres de là.

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Chapitre 14

 

Le pauvre mortel chargé d'enquêter sur les exécutions était bien trop innocent… pour son propre bien. Oh, elle ne mettait pas ses capacités professionnelles en doute –son esprit dévoilait de réelles compétences pour ce travail-, mais il n'était tout simplement pas fait pour se frotter à un être comme Salmonéus Bismarck. Pour lui, la vie humaine ne représentait rien, sinon un bon repas. Si jamais il croisait ce gentil inspecteur sur sa route, elle ne donnait pas cher de sa peau. Pourtant elle comprenait qu'il ait envie de l'arrêter. Après tout, Salmonéus Bismarck lui avait arraché la femme qu'il aimait. Le fait que ce soit dû à une erreur ne changeait rien à l'affaire; bien au contraire, cela la rendait bien plus horrible. Et démontrait, si cela était nécessaire, le mépris de ce démon pour la vie d'autrui. Seuls ses propres besoins avaient voix au chapitre, et cela depuis aussi longtemps qu'elle le connaissait. Elle voulait aider cet inspecteur autant que possible, mais ne lui permettrait pas de l'appréhender. Elle méritait de le punir, sa traque durait depuis plus longtemps que celle du policier. Sans compter que la justice humaine serait inefficace pour le châtier. Son clan réservait un accueil tout particulier à Salmonéus Bismarck, ce qui expliquait pourquoi il mettait autant de talent à ne pas se faire capturer. Il connaissait la sanction infligée à ceux qui ont assassiné leur Père… Une joie mauvaise coula furtivement dans les veines de Nicole à cette pensée. Un méchant sourire étira ses lèvres carmines, découvrant brièvement ses crocs de porcelaine. Elle était proche de la ville à présent, et elle pouvait encore s'autoriser à sourire à pleines dents. Lorsqu'elle partageait l'espace avec les humains, elle évitait bien entendu d'exposer ses crocs magnifiques. C'était une des règles du Jeu : les buveurs de Sangs devaient tout faire pour que leur existence ne soit jamais plus qu'une légende. Sinon, le "bétail", comme certains nommaient les humains, se rebellerait et programmerait l'anéantissement de la race des vampires. Et ces derniers siècles, ils avaient eu accès à des armes terrifiantes. Aucun vampire ne transgressait cette règle… hormis Salmonéus qui n'avait que du mépris pour toute règle. "Les règles sont faites pour être transgressées, ma petite", lui avait t-il déclaré la dernière fois qu'elle avait failli le capturer. Cela remontait au XIXe siècle.

 A l'époque, il sévissait à Londres, dans le quartier le plus misérable de la ville. Il avait trouvé un moyen d'escamoter ses morsures avec de monstrueuses mutilations. Cependant, l'opinion publique, horrifiée, avait été alertée, et la police l'avait cherché. Encore une fois. Jamais elle ne put l'appréhender, mais il avait laissé sa marque sanglante dans l'Histoire… Bien sûr, la Domina de Londres avait usé de tout son pouvoir occulte ou non, pour entraver les recherches humaines. Par chance, elles étaient du même clan, toutes les deux, et un respect mutuel les liait. Domina Anne avait fait tout son possible pour aider Nicole. Elle connaissait sa mission et l'approuvait d'autant plus que Ricardo avait été un de ses amis chers. Malheureusement, Bismarck avait pu s'échapper par bateau. Nicole ne doutait pas qu'il ait apprécié l'expérience. Il avait même poussé le vice à écrire à la police et à la presse, le bâtard ! Partant du principe qu'on n'est jamais mieux servi que par soi même, il s'était auto baptisé "l'Eventreur". Cette gloire sanglante avait dû aiguiser ses appétits, Nicole n'en doutait pas. Ses actes de l'époque constituent un des plus grands mystères de la criminalité. Elle le connaissait suffisamment pour savoir que cette époque lui procurait encore de délectables souvenirs. Il se faisait une gloire d'avoir échappé aussi bien à ses poursuivants humains que vampires et elle misait sur cet excès de confiance pour pouvoir enfin le livrer à la justice de son clan. Ce monstre avait torturé et mutilé plusieurs femmes juste pour passer le temps. L'une d'entre elles avait un air de ressemblance avec Nicole, cette dernière s'en était rendue compte en voyant les daguerréotypes et en avait frissonné d'horreur. L'immonde !

Ses pensées lui avaient tenu compagnie jusqu'à la ville. La colère avait dû donner un aspect crispé à ses traits, car une femme la dévisagea en l'évitant. D'un geste machinal, elle rajusta ses lunettes de soleil. Elle savait qu'elle attirait l'attention en portant de tels accessoires, surtout en plein hiver, mais dévoiler ses prunelles argentées avait un effet désastreux : les humains s'alarmaient aussitôt d'un tel regard. Les autres vampires aussi, jusqu'à un certain point. Cette particularité était le moyen de l'identifier, aucun autre vampire à sa connaissance n'ayant de prunelles semblables aux siennes. De son vivant, ses yeux avaient été gris clairs, mais la Métamorphose leur avait donné cet éclat surnaturel. Ricardo lui avait dit que c'est parce que les conditions de sa Métamorphose avaient été exceptionnelles qu'un tel cadeau lui avait été donné. Pour marquer sa particularité parmi les non morts. Et quelle particularité ! Certains Buveurs de Sangs l'avaient traitée de monstre. Un comble ! Au début de sa nouvelle "vie", elle en avait souffert, mais Ricardo l'avait protégée et Ricardo était respecté comme un Dominus, même s'il n'en portait pas le titre. La rumeur courait à l'époque qu'il avait refusée cet honneur suprême, car les mondanités ne lui convenaient pas. Il préférait s'adonner à ces travaux magiques. Dont elle-même, Nicole, en était la plus éblouissante preuve de réussite. Les circonstances de sa "naissance" n'avaient été révélées qu'à un petit nombre d'initiés, dont Bismarck faisait malheureusement partie en tant que disciple. Elle avait suscité beaucoup de curiosité, au début, puis une vague crainte du fait de ses dons particuliers. Elle savait que les vampires des autres clans possédaient ne fiche très précise sur elle, et elle ne savait pas si elle devait être fière de cette attention ou en avoir honte… Elle chassa d'un mouvement de tête ces pensées creuses; pour l'heure sa priorité était de trouver l'endroit où se cachait Bismarck. Elle voulait aussi savoir où en était cet inspecteur. Donc, direction le commissariat, où elle allait devoir attendre qu'il sorte pour pouvoir lui parler. Une partie d'elle se servait de lui comme sources d'informations, mais une autre, plus difficile à définir, éprouvait l'envie de le protéger de ce monde sombre et sans pitié dans lequel elle vivait. Arrivant devant le poste de police, elle avisa les alentours pour se trouver un poste de vigie. Elle ne pouvait évidemment pas attendre devant le commissariat, elle attirerait trop l'attention. Le bâtiment en face lui paraissant parfait, elle traversa la route d'un pas nonchalant. Faisant mine de chercher une adresse, elle contourna l'immeuble, jusqu'à ce qu'elle trouve un endroit discret. La ruelle avait l'air parfaitement calme, un clochard dormait à poings fermés dans un carton. D'un bond prodigieux, elle se hissa jusqu'à l'avant dernier étage. Son talon résonna sur le petit promontoire qui courait le long du bâtiment. Elle attendit un moment pour voir si personne ne se montrait à la fenêtre. Personne. Parfait. Il lui restait à peine cent mètres à parcourir avant le toit et il n'y avait pas assez de place pour prendre de l'élan. Elle allait devoir grimper. D'un mouvement souple; elle gravit le mur, s'agrippant aux briques avec ses ongles, se concentrant pour que toute sa force magnétique la plaque contre le mur. Elle fut en haut en quelques minutes. Elle épousseta son manteau d'un geste vif et chercha la meilleure vue sur le poste de police. Son arrivée sur le toit affola quelques pigeons, peu habitués à recevoir de la visite à de telles hauteurs. Elle choisit sa place avec soin, s'installa confortablement et attendit dans la lumière terne de novembre que l'inspecteur Rémi Dumarchant sorte du commissariat.



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Chapitre 15

Lorsque la nuit commença à se répandre sur la ville, elle sentit l’inquiétude l’envahir. Elle admettait tout à fait que cette enquête lui tienne à cœur, c’était aussi son cas. Mais elle était postée sur ce toit depuis des heures et elle ne l’avait pas vu sortir. Ce commissariat débordait de vie, elle la sentait fourmiller au fond de sa conscience. De plus, elle avait vu de nombreuses personnes aller et venir au cours de ses heures de surveillance. Certains de ceux qu’elle avait vus avaient aiguisé son appétit pourtant rassasié. Elle attendit encore un moment, à l’écoute de son instinct. Qu’il ne sorte pas n’était pas normal. Les humains devaient se nourrir. N’y tenant plus, elle se décida à quitter son poste de guet. D’un bond souple, elle sauta du toit, atterrissant dans la pénombre de la ruelle dans un claquement de talons à quelques mètres d’un clochard qui sursauta.

D’un pas résolu, elle traversa la rue, slalomant dans le trafic. Elle entra dans le poste et attendit sagement au comptoir. Ce n’était pas prudent de s’exposer ainsi mais un mauvais pressentiment commençait peu à peu à polluer son esprit. "Bonsoir, dit-elle au planton qui avait fini par venir voir. Vous allez pouvoir m'aider.

- Bonsoir, Madame. Je vous écoute.

- Je voudrais parler à l'inspecteur Dumarchand, s'il vous plait.

- L'inspecteur Dumarchand ? Je vais voir s'il est là. Un instant." Il disparut derrière une porte sans plus d'explication. Un long moment s'écoula encore, qui vit grandir son malaise, avant que la porte ne se rouvre sur un homme grand, avec l'air sérieux et préoccupé. "Bonsoir. Inspecteur Puylong. Que puis-je pour vous?

- Vous, rien. Je ne vous connais pas. Je voudrais voir l'inspecteur Dumarchand, comme je l'ai clairement indiqué à votre collègue." Le silence plana un moment entre l'inspecteur Puylong et Nicole Pavalli. Il lui demanda son nom et lorsqu'elle le lui indiqua, ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la surprise. "Venez avec moi" dit-il en lui indiquant la porte. Elle lui emboîta le pas, de plus en plus inquiète. Il la conduisit au détour d'un escalier vers un sous sol meublé de machines à café et à sandwiches, ainsi que de quelques tabourets fatigués et de leurs tables. "Qui êtes-vous?

- Je vous demande pardon?" Elle le toisa et fixa un moment la main de l'inspecteur, qui lui tenait fermement le bras. Il la lâcha, finalement. "Qui êtes-vous, bon sang ?

- J'ai l'impression que personne ne me comprend. Je croyais pourtant m'exprimer en français. Je vais recommencer tout doucement : je voudrais voir l'inspecteur Dumarchand.

- Il n'est plus là." Plus là ? "Il a reçu un message et il est parti depuis des heures." Elle essayait d'endiguer la montée de stress qui menaçait de la submerger. Elle n'aimait vraiment pas comment tournait cette histoire. Elle sentait aussi que ce policier ne lui disait pas tout. N'y tenant plus, elle plaqua l'homme contre le mur. Elle contrôla sa force afin de le maintenir sans le blesser. Il s'insurgea, bien sûr de ce traitement, mais ne put bouger. Elle dégagea une de ses mains pour pouvoir ôter ses lunettes. Si elle voulait obtenir les informations dont elle avait besoin, cet inspecteur devait plonger dans son regard. "Seigneur ! glapit le policier. Je … je … ne me faîtes pas de mal !

- Chut, chut, tu ne risques rien. Je ne te veux aucun mal. Vous ne craignez rien." Elle attira le regard de cet homme, un regard qui, pour l'heure, reflétait une peur irraisonnée. Bien qu'elle l'empêche de bouger, il cherchait à attraper son arme. Il bredouillait des mots sans suite, pris d'une panique qu'elle ne comprenait pas. Elle plongea son regard dans le sien, son esprit dans celui de ce policier. Elle cherchait une image de Dumarchand, un indice expliquant son absence sur son lieu de travail. Soudain, l'esprit de Nicole Pavalli fut assailli par les souvenirs récents de cet inspecteur. Des flashes sans suite d'événements, d'actions, de sons, de visages traversaient l'esprit de la jeune femme à une allure vertigineuse, propulsées par le stress que Puylong éprouvait. Bien entendu, elle ne pouvait pas interagir sur l'esprit de cet homme, ses capacités hypnotiques ne le lui permettaient pas. "Dis-moi où est Rémi Dumarchand, murmura t-elle. Allez, sois sympa." Soudain, elle a aperçu une image qui la fit réagir. Une femme à la démarche raide, presque robotisée. Par chance, Puylong était dans la pièce au moment où la créature était entrée. Oui, cet être ne méritait plus le nom d'humain, un événement affreux l'avait privé de son humanité. Elle voyait que Dumarchand avait suivi cette créature. Malheureusement, cet inspecteur ignorait tout de leur destination. Il ne pouvait donc pas le lui révéler. Elle le sortit de la transe dans laquelle elle l'avait plongé. "Ne me faîtes pas de mal, s'il vous plait ! gémit-il aussitôt.

- Ecoutez-moi. Quand je vais vous lâcher, il va falloir que vous restiez calme. Vous ne crierez pas, vous ne vous débattrez pas. Promis ? Je ne vous veux aucun mal, mais j'ai besoin de vous parler. Compris ?" Elle dégagea progressivement son bras, l'œil aux aguets. Lorsqu'il fut tout à fait libre, il se força à rester immobile. Elle remit ses lunettes, pour minimiser son stress. Elle lui raconta brièvement ce qu'elle veniat de voir dans son esprit. Elle le vit ouvrir de grands yeux d'étonnement tandis qu'elle parlait. "Je…je me souviens de cette femme. Elle s'est avancée vers Rémi. Elle avait l'air craintif.

- Que lui voulait-elle ?

- Euh… Je n'ai pas bien compris. Elle lui a dit qu'elle venait de la part de Nicole. Qu'elle avait trouvé quelque chose d'important.

- Vous êtes sûr de ça ?

- Oh que oui ! Dumarchand m'avait demandé des infos sur cette nana." Il lui coula un regard en biais où pointaient des étincelles de peur. "C'est vous, n'est ce pas ? Cette Nicole Para…Pavalli ! Oh Seigneur !

- Calmez-vous. Je ne vais rien vous faire. Vous souvenez vous de l'endroit où ils sont partis ?" Il secoua la tête plusieurs fois. "Ce n'est pas vous qui avez envoyé cette femme, c'est ça ?

- Vous êtes très perspicace. Cette femme est une goule. Je ne vais pas entrer dans les détails sordides. Comprenez simplement que cette femme sert un … vampire." Il encaissa bien le choc de la révélation. Puis, l'amusement perça les brumes de la peur. "Vous vous fichez de moi ? C'est tout ce que vous avez trouvé ? Dracula a envoûté une innocente femme et s'en sert comme marionnette ?

- Je n'ai pas le temps de vous convaincre. Comment s'appelait cette femme ?" Devant sa mine sérieuse, il fit un réel effort pour s'en souvenir. "Elle avait un nom bizarre … Un nom roumain ou polonais.

- ça ressemblait à quoi ? Faîtes un effort !

- Strimi … Rigoï … Un truc dans ce genre, vous voyez ?" Elle ouvrit des yeux ronds lorsqu'elle trouva le sésame. Décidément, Bismarck était plein de ressources. L'ironie de la situation ne lui échappa pas. "Ce nom ressemblait-il à "Strigoï" dîtes moi ?

- Comment vous avez devinez ? C'est exactement ça ! Oui, elle a dit qu'elle s'appelait Rachel Strigoï. Vous la connaissez ?

- Non, mais je doute fort que ce soit là son vrai nom. "Rachel Strigoï" signifie la Brebis du Vampire. Non, la coïncidence est trop énorme. Où l'a-t-elle emmené ?" Mais Puylong ne pouvait pas la renseigner. Dumarchand n'avait pas senti le piège et avait suivi la goule tête baissée. Mais où était-elle à présent ? Alors qu'elle s'apprêtait à quitter ce commissariat où elle ne pourrait rien apprendre de plus, elle s'aperçut que le policier se préparait à la suivre. "Où croyez vous aller comme ça ?

- Avec vous, qui que vous soyez. Je vais aller chercher Rémi Dumarchand, le tirer des pattes de cette … goule." Elle pivota sur ses talons et lui barra le chemin. Elle pénétra à nouveau son esprit, tout doucement, insidieusement. Elle le poussa vers un des tabourets et le fit asseoir. Ôtant à nouveau ses lunettes noires, elle plongea ses iris chatoyants au fond des prunelles sombres du policier. Elle lui implanta l'idée de repartir dans son bureau sitôt qu'il se réveillerait de cette petite sieste. Puis elle effaça toutes traces de leur rencontre, oblitérant toutes les informations qu'ils avaient échangé. Elle l'installa le plus confortablement, la tête posée sur ses bras croisés sur la table de la petite pièce. Ceci fait, elle remit ses lunettes, lissa ses vêtements et sortit du poste de police d'un pas assuré qui lui permit de ne pas être interceptée.

         Elle s'enfonça dans la nuit, l'esprit turbinant à plein régime. Où donc avait pu disparaître Rémi Dumarchand ?


 
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Chapitre 16

Encore ce même cauchemar… Une impression de peur hantait son sommeil… Puis une odeur de chair brûlée planait au fond de sa conscience. Il émergea de sa torpeur avec un rugissement. Pendant plusieurs minutes, il ne sut où il était, puis il reconnut les odeurs, son ouïe perçut les rumeurs au loin. Il erra dans la pièce obscure, se débattant avec les lambeaux de son rêve. Pire, de ses souvenirs. Jamais il n’avait cherché à se débarrasser de ses visions de l’horreur passée. Elles alimentaient sa haine et l’empêchaient d’oublier. Il ne voulait pas oublier, pas tant que ses souffrances n'auraient pas reçu réparation. Parfaitement, réparation ! Il passa sa main sur son front, tremblant de rage. Puis il sortit de son refuge. Son esclave humaine s'approcha de lui, craintive. "Votre invité est arrivé, Maître.....

- Parfait. Où l'as-tu mis ?....

- Dans la cage, Maître, comme vous me l'avez ordonné.....

- Parfait. Tu m'as bien servi. Viens ici." Animé d'une joie perverse, il vit sa créature s'approcher, à la fois apeurée et extatique. Une belle réussite, vraiment. Cette femme symbolisait le summum de sa vengeance. Il avait mis du temps à la trouver. Il détailla son corps pâle, séduisant, appétissant. Sa peau était douce, sa chair ferme. Avec ses longs cheveux blonds, elle paraissait plus jeune que ses 40 ans. Cet air juvénile aiguisait son appétit. "Ma petite Rachel, ma douce brebis, m'aimes-tu ?....

- Oh oui, Maître." Elle frissonna sous ses caresses. Ses doigts froids se glissèrent sous sa tunique. Cette femme était devenue sa créature, elle accepterait tout ce qu'il lui ferait subir. Il l'attira contre lui et dégagea son cou. Il posa ses crocs sur sa chair chaude et douce, laissant sa soif monter progressivement. Lorsqu'il n'y tient plus, il fit pénétrer ses crocs dans ce cou de cygne, respirant le parfum sucré de sa peau  il but à longs traits gourmands, il sentait le cœur de sa goule qui frémissait. Il ne voulait pas la tuer, oh non ! La maintenir en vie était important. Elle protégeait son abri et le protégerait quitte à en mourir, ce n'était pas négligeable. Et puis, il avait une autre raison... plus personnelle. Lorsqu'il jugea avoir assez bu pour endormir sa faim et renforcer son emprise sur sa créature, il la libéra. La faiblesse due à la perte de sang la fit s'évanouir. Il ne s'en émeut pas, il savait qu'elle reprendrait bientôt ses esprits, plus soumise encore. Il enjamba le corps de la femme, se dirigea dans l'autre pièce. La cage était magnifique sous l'éclairage cru des lampes. Sans doute aurait-elle été encore mieux à la lumière des bougies, mais le feu n'était pas son ami. Il avait appris à le craindre. Sans compter que l'autre petite morue insolente pourrait l'utiliser contre lui. Et ça, il n'en était pas question.sa détermination à l'attraper était aussi forte que la sienne à rester libre. Il entendit un pas derrière lui. "Rachel, viens là....

- Oui, Maître.....

- Reste ici. Surveille-le. Ne fais rien de ce qu'il pourrait te demander. C'est compris ?....

- Oui, Maître. Bien, Maître." Il vérifia la solidité des barreaux de la cage et de la chaîne qui la fermait. Rien à dire. Le verrou était neuf et son inviolabilité ne faisait aucun doute. Parfait. "Tu trouveras à manger pour toi à côté. Nourris-toi à ta faim.....

- Merci, Maître." Il partit dans l'espèce de cuisine aménagée pour les besoins de sa goule. Cette ville comptait nombres de magasins ouverts 24 heures sur 24. L'argent ne posant aucun problème, il pouvait facilement prendre le nécessaire pour la subsistance de sa créature. Décidemment, ce XXe siècle regorgeait de bonnes surprises ! Il prépara une assiette pour le prisonnier. Les relents de nourriture l'indisposaient, même s'il devait reconnaître que sa goule était bonne cuisinière. Puis, il alla déposer l'assiette garnie devant les barreaux de la cage, à côté d'une bouteille d'eau. Sa proie était encore inconsciente. Il ne voulait pas que ce minable meurt, juste le dégager de son chemin. De plus, ce minable fricotait avec cette garce et les informations qu'il détenait pouvaient le conduire jusqu'à lui. Il devait savoir ce qu'elle lui avait appris. Il avait commis quelques menues imprudences, mais il était hors de question qu'il soit arrêté. "Ne t'approche pas de sa cage, sous aucun prétexte.....

- Sous aucun prétexte, entendu, Maître." Il quitta son refuge, verrouilla derrière lui pour plus de sûreté. Il savait d'expérience que sa créature n'avait plus de volonté propre depuis qu'il l'avait assujettie. Preuve en est qu'il devait lui ordonner de se nourrir, sans quoi elle se laisserait dépérir. Mais verrouiller son refuge lui permettait de chasser l'esprit serein, plus encore maintenant qu'il avait un invité. L'air marin lui emplit l'esprit, à défaut des poumons. C'était bien là la seule chose qu'il regrettait dans la Transformation : il ne sentait plus ses poumons se remplir d'air. Il percevait les odeurs, malgré tout, comme tous ses congénères. C'était là un des mystères de la Transformation que certains de son Clan cherchaient à percer. Il eut un mauvais sourire sans joie. Si jamais les membres de son Clan lui mettaient le grappin dessus, il ne donnait pas cher de sa peau. Il le savait parfaitement, raison pour laquelle il mettait autant d'art à ne pas se faire attraper. ....

         Il s'étira longuement dans l'air nocturne. Vraiment la lumière du soleil ne lui manquait pas. Il n'avait pas vu une aurore depuis de nombreux siècles, depuis l'époque lointaine où Ricardo di Médicis lui avait offert le baiser de l'éternité. Et déjà avant cet événement, il préférait la nuit au jour. Mais il enrageait en pensant au cadeau insensé qu'avait reçu cette garce. Elle ne le méritait pas ! Pouvoir marcher parmi les vivants, comme le loup parmi le bétail. "L'heure n'est pas à ressasser le passé, murmura Salmonéus Bismarck. Il est grand temps de se nourrir." Il quitta les docks tranquillement, au bruit sourd de ses pas sur le bitume. Sa carrure lui garantissait la sécurité. Il marcha jusqu'au centre-ville, là où il trouverait facilement une proie. Il se doutait bien que cette peste de Nicole rôderait à sa recherche, mais la ville était grande et sa confiance en lui également. Cela lui avait toujours réussi dans son existence. La ville était un vrai jardin d'abondance. Côtoyer ces humains lui ouvrait l'appétit. Il marcha d'un bon pas, paisiblement, conscient d'être le plus grand danger de cette ville. Finalement, le Jeu en valait la chandelle : les humains avaient relégué des créatures comme lui au rang de mythologie. Ainsi lui et ses semblables pouvaient prospérer en toute quiétude. Mais toutes ces règles l'ennuyaient. Seuls les lâches se terraient, il valait mieux que ça. Jamais il n'avait cherché à cacher sa véritable nature, les humains se voilaient eux-mêmes la face. Ses pas avaient fini par le conduire aux portes d'un bar de nuit. De la musique assourdie parvenait à ses oreilles. La porte avait son cerbère, un homme vêtu de noir, qui affichait une mine patibulaire. Son attitude fit sourire Bismarck. Il traversa la rue d'un pas alerte, slalomant sans problème entre les voitures. Il se planta sans un mot devant l'homme, un sourire pointant au coin de ses lèvres. "On n'entre pas sans invitation" Bismarck écoutait à peine les paroles de l'homme. Il plongea son esprit sans ménagement dans celui du videur, lui implanta de force une idée. "J'ai une invitation, laisse-moi entrer." Il parla d'une voix sourde, juste audible par cet homme. Il n'était pas obligé de parler, ses pouvoirs psychiques l'en dispensaient, mais il trouvait ça plus amusant. "Je vous en prie, Monsieur, entrez" A l'intérieur, la musique pulsait comme un cœur technologique. La musique moderne lui plaisait pas son côté mécanique, bestial. Il savait qu'il n'avait aucune chance de croiser ici cette petite morue insupportable. Ses délicates oreilles n'aimaient pas cette musique. Elle le protégeait d'elle plus sûrement que n'importe quoi d'autre. A moins d'y être forcée, elle ne fréquentait pas ce genre d'endroit.....

Les lumières multicolores ravissaient son regard, il se sentait comme un enfant à la fête foraine. En un sens, c'était le cas. Il s'approcha du bar, s'y accoudant pour regarder la salle. Des banquettes et des tables entouraient la piste où dansaient des dizaines d'humains agglutinés. Un vrai garde-manger musical. Oui, décidemment, ce XXe siècle était une vraie corne d'abondance ! Il commanda un café, qu'il ne boirait bien sûr pas, mais il aimait la chaleur et l'odeur du café. Sa voix parvint sans problèmes jusqu'aux oreilles du barman. Les odeurs étaient chaudes, puissantes : odeurs de sueur mêlées aux multiples parfums sont ses vaporisaient les humains. Son appétit s'aiguisait de plus en plus. Bientôt il atteindrait son apogée. Les stroboscopes séquençaient les mouvements des danseurs, tels des images d'un film passé au ralenti. Il n'avait que l'embarras du choix, les proies étaient appétissantes, le bétail était abondant. Mais au lieu d'attirer à lui sa proie, au lieu de séduire sa victime comme certains le faisaient, il préférait la laisser venir à lui. Généralement, son physique attirait les femmes qui aimaient être rassurées par la force qu'il dégageait. Parfois, il éveillait l'intérêt d'un homme, que sa virilité séduisait. Tout l'intérêt de la chasse consistait à savoir quelle proie tomberait dans ses filets. La belle morale de Ricardo di Médicis prônait de ne se nourrir que de la lie de la société, agissant tel un bourreau anonyme. Belle idéologie mais elle ôtait tout piquant, tout intérêt à la chasse. Celle de Bismarck était plus proche de la réalité, selon lui. Les humains n'étaient que du bétail et tous étaient coupables de fautes plus ou moins graves. Tout est une question de point de vue, au fond. "L'homme est un loup pour l'homme, murmura t-il.....

- Que dîtes-vous ? Je n'ai pas entendu." Il avisa celle qui venait de parler. La voix appartenait à une blonde, vêtue d'une robe rouge lucifer. Un parfum puissant émanait d'elle. Pourvue d'une physique agréable, elle l'observait ouvertement, sans vergogne. Il esquissa un sourire séducteur. "Rien de bien intéressant. Cette robe vous va très bien." Elle baissa les yeux, faussement modeste. La petite était bien consciente de ses charmes. Même si elle savait quel effet elle faisait aux hommes, Bismarck était prêt à parier qu'elle ignorait quel effet elle lui faisait, à lui. Elle l'amusait. "Je m'appelle Jennifer, minauda t-elle.....

- Moi, c'est Sam. Enchanté. Je vous offre un verre ?" Elle adorait les bloody-mary et Bismarck adorait la voir boire des bloody-mary. Elle serait d'autant plus docile pour la suite du programme qu'il lui réservait. Ils discutèrent, il fit semblant de s'intéresser à ce qu'elle lui racontait. Il assurait le minimum d'attention nécessaire pour qu'elle ait envie de rester avec lui. Quoiqu'il avait confiance en son charme. Il savait que le Don ténébreux avait amplifié son pouvoir de séduction. Son physique avantageux et la blondeur de ses cheveux étaient ses meilleures armes. Et puis, les humains étaient si naïfs… Il l'invita à s'asseoir à une table. "On sera plus tranquille, viens." Elle ne se fit pas prier, la mignonne. Elle avait choisi un parfum capiteux, et en dépit de l'heure avancée de la nuit, il tenait bon. Il s'amusa beaucoup à la regarder lui faire son numéro de charme. Elle s'était assise tout près de lui, arguant que la musique était trop forte pour pouvoir s'entendre. Il n'avait pas voulu la contredire, mais il entendait parfaitement. Mais il adorait la sentir aussi proche. Il se sentait d'humeur joueuse, le sang de sa goule avait calmé sa faim. Sans la rassasier, toutefois, mais il attendait justement que ce petit jeu excite son appétit. Il glissa sa main sur la cuisse de sa proie, la fraîcheur de sa peau la fit sursauter. "Viens, sortons d'ici. Je connais un coin sympa où finir la soirée" Ils sortirent du bar de nuit en se tenant par la main. Le videur leur souhaita une bonne soirée tandis qu'il leur tenait la porte. Les néons de l'enseigne dissimulaient son teint trop pâle. Il sourit : le bar de nuit s'appelait Midnight Kiss. "Où est ta voiture, mon chou ?....

- Je n'habite pas loin, ma tendre. Je n'ai pas pris ma voiture. Viens, l'air frai nous fera du bien." Il la conduisit jusque dans une ruelle, à quelques encablures de là. Tout en marchant, il lui ronronnait des bêtises. Lorsque la faim fut trop difficile à maîtriser, il l'entraina dans une impasse. La chance était avec lui, l'éclairage laissait à désirer. La femme se méprit sur son attitude et gloussa de joie. "Eh bien ! On dirait que tu as une grosse envie, mon chou.....

- Oh que oui, ma belle. Une très grosse envie. Viens par là." Il la plaqua contre le mur, le choc la surprit. "Doucement ! Tu vas abimer ma robe !....

- Mais non, elle ne risque rien, ta robe". Il lui embrassa le cou, promenant sa langue sur sa peau, il ne fallait pas qu'elle crie, elle risquait ameuter du monde. Il n'avait pas encore fini son business dans cette ville, c'était encore trop tôt pour lever le camp. Beaucoup trop tôt. Sa peau était chaude et douce, il sentait son pouls avec sa langue. Son parfum lui chatouillait les sens. La mignonne s'était remise à glousser et cherchait à lui dégrafer son pantalon. Il chassa ses mains comme des insectes importuns. "ça suffit. Il ne faut pas jouer avec la nourriture.....

- Qu'est ce que tu dis ?" Il lui plaqua une main sur la bouche, et sans mouvement inutile, plongea ses crocs dans son cou. La chair tendre n'opposa aucune résistance. Un vrai plaisir. Il but à longs traits, aspirant la vie de la femme sans aucun remord. Elle essayait de le repousser, sans succès. De sa main libre, il maintenait sa proie contre le mur. Elle ne pouvait rien faire pour se dégager, il attendait paisiblement qu'elle se résigne ou que la faiblesse la saisisse. Lorsqu'il se sentit pleinement rassasié, il relâcha son étreinte. Il regarda le corps avachi par terre d'un air ennuyé. "Non, il ne faut pas jouer avec la nourriture. Enfin, pas longtemps." Il écouta la nuit, aux aguets. Pas un bruit suspect, la nuit était paisible. Fabuleux. Il se mordit le bout du doigt, juste assez pour que quelques gouttes de sang perlent. Puis il en déposa sur les marques laissées par ses crocs. Son sang vampirique les fit aussitôt disparaitre. Il défroissa ses vêtements, lissa ses cheveux et, se détournant du corps, s'en repartit dans les rues. Il se promena un peu avant de rejoindre son refuge. Sitôt qu'il fut à sa porte, il sentit que son invité était conscient. Il s'était enfin réveillé. Il l'entendait plaider sa cause auprès de la goule. Brave petit soldat. "Ecoutez-moi, je vous en prie, laissez-moi partir… Ouvrez-moi, s'il vous plait." Bismarck ressentait la peur de cet homme. Il était effrayé mais tentait de dompter des craintes. Oui, vraiment, un brave petit soldat. "Soyez chouette, ouvrez moi. Regardez, les clés sont juste là.....

- Elle ne vous répondra pas, l'informa Bismarck. Elle ne vous obéira pas, je le lui ai interdit." Il était tellement concentré sur la goule qu'il n'avait pas entendu Bismarck entrer. L'horreur de la situation lui apparut alors clairement. Il recula au fond de sa cage lorsque Bismarck lui offrit son plus beau sourire.

 

 

 

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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 14:26

Chapitre 9


 Le choc de cette découverte m'a laissé plusieurs minutes dans l'incapacité de parler. Nicole m'a fait la grâce de ne rien ajouter, me permettant ainsi de me reprendre. Son regard était certes posé sur moi, mais on la sentait absorbée dans ses souvenirs. Quant à moi, je l'observais à la dérobée. La jeune femme qui était là, nonchalamment assise dans mon fauteuil avait au bas mot 450 ans ! Qui était-elle ? Mieux encore : qu'était-elle ? Je devais me résoudre à l'évidence : quoi qu'en dise son apparence, elle ne devait pas, elle ne pouvait pas être humaine. Parce qu'à ma connaissance, aucun être humain peut prétendre avoir 450 ans et avoir l'apparence d'une jeune femme de 30 ans ! A moins qu'elle se joue de moi. L'argument principal contre cette théorie était que je ne voyais pas du tout quel but elle cherchait à atteindre en me racontant cette fable. Raconter son histoire à un pauvre flic surmené comme moi n'était pas le meilleur moyen pour atteindre la célébrité, si c'était là ce qu'elle recherchait. Pendant que mon esprit turbinait à plein régime, elle se contentait de rester assise face à moi, calme et silencieuse, ses iris brillants se promenant dans le salon. Lorsque j'ai voulu m'allumer une cigarette, je me suis rendu compte que mes doigts tremblaient. "Donc, si je résume, vous êtes née près de Florence voici environ 450 ans.

- Oui

- Et vous avez fini par vous échapper de l'orphelinat où vous viviez.

- C'est tout à fait exact, mon cher Rémi. Je me suis échappée de cet affreux endroit avec ma meilleure amie d'alors, Priscilla. On était au mois de février. Je me souviens qu'une fois hors de l'enceinte, nous avons couru de toutes nos jambes. Chaque minute qui passait nous rapprochait de l'heure du réveil, juste après laudes, et donc du moment où notre fuite serait découverte. Croyez-moi, nos pas résonnaient sur les pavés de la rue et le vent avait beau être glacial, rien ne nous aurait fait faire demi-tour, à moins d'y être contraintes. Et on faisait tout notre possible pour que ça n'arrive pas, vous pouvez me croire !

- Elle avait le même âge que vous ?

- Non. J'avais un peu plus de six ans à cette époque. Priscilla devait avoir deux ou trois ans de plus que moi. Elle était aussi blonde que je suis brune. Nous avons lié connaissance dans la cours ; elle était arrivée le même jour que moi. Nous avons tout de suite sympathisé. Elle était charmante, gaie et fraîche. Elle avait de magnifiques cheveux bouclés. Elle adorait jouer avec. Mais le règlement de l'orphelinat voulait que les cheveux des fillettes soient coupés le plus court possible. D'une part, ça évitait la propagation des parasites comme les poux. Et d'autre part, raison plus officieuse, les s--urs considéraient que les cheveux courts étaient un excellent remède contre le péché d'orgueil…" Je voulais dire quelque chose, exprimer ma compassion, mais rien de pertinent ne me venait à l'esprit. "Notre fuite éperdue dans les rues de la ville nous a conduit dans des quartiers malfamés. N'étant pas de Florence, je ne connaissais pas suffisamment la ville pour pouvoir m'y orienter et Priscilla n'était pas mieux lotie que moi. C'est ainsi que nous avons couru comme si le diable en personne était à nos trousses, sans avoir le moins du monde une idée de notre destination. Lorsque nous nous sommes enfin arrêtées, hors d'haleine, le soleil était levé depuis déjà quelques heures. Nous nous sommes cachées au coin d'une ruelle, blotties l'une contre l'autre, tels deux oisillons tombés du nid. C'est alors que nous est apparue une évidence douloureuse : nous n'avions pas de plan pour survivre ! Nous avions fomenté notre fuite, mais aucune de nous n'avait réfléchi à la suite des événements. Lorsque l'horreur de la situation nous est apparue, nous avons fondu en larmes. " En la contemplant dans mon salon, je me suis souvenu de son intervention musclée, digne des meilleurs films américains. L'imaginer en détresse au point de sangloter dans une rue m'était par conséquent très difficile. "Comme vous devez vous en douter, la rue n'était pas l'endroit idéal où vivre. Mille dangers nous guettaient : la mort était une voisine omniprésente.

- Deux fillettes perdues étaient des proies faciles

- C'est rien de le dire ! Des proies idéales, vous voulez dire ? Deux petites filles perdues, sans aucune famille pour les protéger…

- Comment vous en êtes-vous sorties ?"

Elle a exhalé un long soupir. Me croyant indiscret, j'ébauchais des excuses qu'elle a arrêtées d'un geste. "L'ironie du sort a voulu que nous soyons sauvées par d'authentiques filles du péché." Je restais un moment silencieux, attendant la suite. "Nous avons été découvertes par une courtisane. Elle s'appelait Lily Rose. Elle nous a trouvé tandis qu'elle raccompagnait son client. Je ne sais comment elle nous a vu, tout ce que je sais c'est qu'elle nous a conduit à l'intérieur de la maison close. Les autres filles présentes nous ont accueilli chaleureusement. Dans ce lieu où la luxure était un commerce, j'ai reçu les premières démonstrations d'affection depuis le décès de ma mère. Car, malgré leur profession, ces femmes étaient promptes à distribuer caresses et réconfort gratuitement. Cet endroit ne payait pas de mine vu de la rue, mais l'intérieur n'était que tentures, tapis et rideaux, dans des tons riches et lumineux : or, pourpre, blanc… Un fort parfum musqué planait dans la maison, mêlé à des relents d'alcool et de tabac." Son regard avait entrepris l'observation minutieuse de mon tapis. Sa voix était douce et chantante, comme si par moment l'accent de son enfance lui remonter aux lèvres. "Une des filles, une magnifique rousse du nom de Josépha, est arrivée dans le salon avec un plateau chargé de fruits et de biscuits. Ce repas fut divin et pas seulement à cause des mets. Nous avions réalisé que depuis des années, nous étions libres. Ces femmes sentaient vraiment bon, leurs parfums se mélangeaient de façon enivrante et, associés à leur cajolerie, ont eu raison de nous. Entendez par là que nous sommes littéralement tombées de fatigue au milieu des coussins et des soieries. Josépha, ou l'une de ses consoeurs, nous a porté dans l'une des chambres à l'étage. D'une part, nous serions plus à l'aise pour nous reposer. Et d'autre part, soyons honnêtes, la présence de deux fillettes, sorties de nulle part, sales et échevelées, dans le hall d'entrée d'une maison close est très mauvaise pour la prospérité des lieux." Elle a ponctué sa dernière phrase d'un petit rire, mais vide de toute joie. "Vous y êtes restée longtemps ?" Ma question m'est apparue très indiscrète, mais aucune autre ne m'est venue à l'esprit sur le moment. "Deux ans, en tout et pour tout. Elles nous ont gardé dans ce lieu à la seule condition que nous aidions à l'intendance. Bien entendu, nous avons tout de suite accepté, tant la perspective de vivre seules dans la rue nous épouvantait. C'est ainsi que pendant deux ans, nous nous sommes transformées en fées du logis, lavant le sol, la vaisselle, le linge, rangeant, récurant du matin au soir.

- Vous n'étiez pas maltraitée, au moins ?"Ses iris luisants se sont attardés sur moi un moment. Leur fixité m'a mis un peu mal à l'aise. Sans doute s'en est elle rendue compte car son regard a dévié vers la table basse et les millions de bricoles posées dessus. "Non, bien au contraire. Flora tenait cet endroit d'une main de fer, mais jamais elle n'a punit sans raison. Des années plus tard, j'ai compris qu'elle n'était pas propriétaire de la maison et qu'une bonne partie des revenus des filles permettait de payer le loyer. Arrangement étrange, mais qui fonctionnait.

Quand j'ai eu huit ans, Priscilla avait déjà fêté ses onze ans. Elle était devenue une splendide enfant, ses boucles blondes avaient repoussé et lui cascadaient dans le dos .Ma propre chevelure avait déjà cette noirceur d'encre qu'ils ont aujourd'hui et se répandaient sur mes épaules en lourdes boucles soyeuses

 Par commodité, nous les maintenions attachés." Alors que mon esprit se remplissait à nouveau d'images, entraîné par son récit, elle s'est arrêtée net. En l'observant un moment, j'ai perçu une certaine gêne chez elle. Je n'en comprenais pas la cause. Comment l'aurais-je pu? Ne sachant quoi dire, j'ai gardé le silence. Elle a exhalé un long soupir avant de reprendre."Un jour .Priscilla est venue me voir. Elle était en train d'étendre la lessive dans la courette lorsque Flora était venue la trouver. Elle voulait avoir un petit entretien avec elle après ses corvées. Mon amie était inquiète ; Flora ne prenait jamais quelqu'un à part sans raison. Ne la voyant pas venir, elle alla la chercher dans la cuisine. Mais celle qui revint plus tard était souriante et portait une adorable robe rose. Elle m'expliqua alors que le soir même, elle allait faire son entrée dans le monde des grandes. Méfiante de nature, je lui demandai ce qu'elle voulait dire. Elle avait l'air toute excitée et ses beaux vêtements m'intriguaient. Avec force piaillements, elle me raconta que selon Flora, elle avait attiré l'attention d'un riche client. Ce dernier était disposé à débourser une petite fortune pour passer la soirée avec elle."

Je n'ai pas mis longtemps à comprendre ce qui l'avait intéressé, ce riche client!

"Comprenez Rémi, qu'à l'époque, ce genre de goût n'était pas approuvé de façon officielle. Mais c'était toléré, au même titre que l'intérêt de certains hommes pour des adolescents ou les jeunes garçons. C'est ainsi que le soir, après le frugal repas que ces demoiselles prenaient avant de commencer leur soirée, Priscilla, vêtue d'une robe rose et blanche, longue et légère, attendait nerveusement l'arrivée de cet homme. Flora lui fit avaler un petit verre de vin rouge, lui caressant ses longs cheveux dorés pour la rassurer. Mon amie les avait lavé, longuement brossé et parfumé.

Tout d'abord, on entendit les sabots des chevaux, puis le bruit des talons dans la rue. Trois coups secs furent frappés avant que Myriam n'aille ouvrir.

- Cet homme était-ce Ricardo di Médicis ?</SPAN>

- Non. Jamais je n'ai su son nom. Et peu m'en chaut d'ailleurs ! Il était immense, du moins à mes yeux de petite fille. Il prit mon amie par la main et l'entraîna à l'étage. Je ne la revis que le lendemain matin."Les traits de Nicole exprimait une telle douleur que j'ai fini par ressentir moi aussi sa peine. "Elle est venue me voir, alors que j'étais déjà à pied d'--uvre. Elle avait remis ses vieux vêtements. Ses yeux étaient rougis et ses traits crispés. Je n'osais pas l'interroger. En fait, au souvenir de son air de fierté juvénile, j'étais déjà étonné qu'elle me parlât à nouveau.

Après plusieurs minutes de silence, elle me raconta sa soirée en quelques sanglots étouffés. De l'odeur de l'homme, du corps de l'homme contre le sien, de ses mains sur son frêle corps de fillette, de son poids sur elle. Et bien sûr, de la douleur. Flora avait omis de lui en parler, à dessein je suppose. Sans quoi jamais elle ne serait montée avec lui. Cette douleur brève, fulgurante et si intense, cette impression de déchirure certes silencieuse mais perçue par chaque fibre du corps comme le cri de l'innocence à jamais perdue." Que dire après ça ? M'excuser pour tous les hommes de la terre ne changerait rien. Pourtant une partie de moi voulait le faire ; je réprimais cette envie. "Ce qui est étrange, voyez vous Rémi, c'est que c'est cet homme qui conduisit mon cher Ricardo en ces lieux.

- Comment ça ?

- D'après ce qu'il m'expliqua plus tard, cet homme lui avait parlé en terme élogieux de la maison de Flora. Ricardo étant curieux de nature, il décida de s'y rendre.

- Il fréquentait ce genre d'endroit ?" Ma question a fait courir un petit sourire sur les lèvres de ma visiteuse. "Pas au sens où vous l'entendez, Rémi… Quoiqu'il en soit, Ricardo vint un soir. J'étais très malade depuis quelques jours et je mangeais peu. Totalement incapable de tenir sur mes jambes, je gardais le lit sans pourvoir toutefois dormir.

-Vous aviez quel genre de maladie ?" Nouvelle question très indiscrète. Je m'attendais tellement à me faire réprimander que j'ai été surpris d'obtenir une réponse. "Honnêtement, je n'ai jamais su. Tout ce dont je me souviens c'est que la fièvre m'empêchait de faire mes corvées. Je délirais un peu aussi, je crois. J'appelais ma mère, pleurant lorsqu'on me disait qu'elle ne viendrait plus. Josépha resta près de moi, me consolant dans mes crises de larmes, m'appelant son "petit bout" ou son "bouton de rose"." Je voyais ses yeux briller dans la pénombre, et j'étais certain que ces merveilleuses pupilles n'en n'étaient pas seulement la cause. "Ma première vision de Ricardo di Médicis fut celle d'une grande silhouette se découpant dans l'embrasure de la porte. Il s'approcha de mon lit et demanda à Josépha de nous laisser seuls un moment. Il caressa longuement mes cheveux emmêlés et ses doigts m'ont paru délicieusement frais.

- Que vous voulait il ?

- Juste me voir pour le moment. Flora se méprit sur ses intentions et lui proposa de devenir mon premier client. Il la toisa de toute sa hauteur et son regard la fit bégayer. Il ne me manifesta pas d'attention spéciale ce jour là. Quand Josépha revint à mon chevet, je lui demandais qui était cet homme. Elle me regarda comme si je venais de nulle part, ses magnifiques yeux noisette écarquillés. Elle prononça son nom avec tant de respect dans la voix que je fus d'autant plus intriguée par mon mystérieux visiteur. Il revint les deux nuits suivantes, et toujours s'enquit il de ma santé. Il ne semblait pas s'intéresser aux charmes des filles de Flora. Cette dernière lui proposa même l'adresse de certaine maison de sa connaissance qui pourrait répondre à ses attentes s'il ne trouvait pas son bonheur dans ce lieu. Là encore elle reçut son regard glacé et battit en retraite. Il demanda à rester seul avec moi et s'assit sur le coin de mon lit. Je le regardais avec de grands yeux craintifs.

- Pourquoi donc ?

- Je ne comprenais pas ce qu'un homme de sa renommée pouvait bien vouloir à une petite fille insignifiante comme moi." Mon incompréhension devait se lire sur mes traits, car elle a jugé bon d'éclairer ma lanterne. "Les Médicis étaient des gens puissants à l'époque, comme vous le savez sans doute. Ricardo portait leur nom et son carrosse leurs couleurs. Sans être située dans les bas quartiers de Florence ; la maison close de Flora était pas non plus établie dans les quartiers les mieux famés de la ville. Qu'un homme tel que Ricardo de Médicis vienne dans cet endroit était un événement en soi. Priscilla passait tout le temps que ses corvées lui laissaient à mon chevet. Elle avait comme consignes de ne pas trop me fatiguer ; l'intérêt que ce noble personnage semblait me porter me garantissait autant de bons soins que possibles. Flora avait même fait mander un médecin pour qu'il me prescrive un remède. Malheureusement, ce brave homme n'a pu trouver la cause de mon mal. Tout ce qu'il a été capable de dire c'est que je souffrais d'une infection qu'il ne connaissait pas. Plusieurs jours durant, Ricardo ne vint pas. Flora finit par venir me trouver et m'interrogea sur le contenu de nos entretiens.

- Que voulait-elle donc apprendre ?

- Si je lui avais manqué de respect, par exemple. Ou si je l'avais repoussé. Mais rien de tel ne s'était produit. Simplement, il ne vint pas pendant plusieurs nuits. Sans aucune raison pour expliquer son comportement. D'autant plus qu'un noble tel que lui n'avait pas pour coutume de donner des explications.

- Il a fini par revenir ?" Ma question d'une naïveté touchante maintenant que je sais toute l'histoire a simplement surgit de ma bouche. J'étais totalement pris par son histoire. Cette petite fille, je la voyais dans ma tête. Nicole m'a souri tendrement. "Bien sûr qu'il est revenu, Rémi. Le bruit des sabots de son carrosse a résonné dans la rue. Puis un homme est entré et a demandé si je vivais encore. Flora assura que oui, mais l'homme insista pour me voir. Il la suivit dans les escaliers jusqu'à ma chambre. Elle ouvra la porte et s'effaça pour le laisser entrer." Son regard s'est durci tout à coup. Une impression étrange flotta sur ses traits un bref instant. Il avait le regard aussi bleu que celui de Ricardo était noir. Ses iris faisaient penser à deux gouttes d'eau glacée. Il était très grand et musclé, vêtu de sombre. Sa peau pâle ressortait par-dessus son long manteau de cuir. En le voyant ainsi entrer, Priscilla descendit précipitamment du lit et étouffa un hoquet de surprise. Moi-même, je me suis glissée sous les draps tellement son entrée me stupéfia. Une fois qu'il eut bien constaté que j'étais parfaitement vivante, bien qu'encore malade, il referma la porte et disparu de notre champs de vision.

- Qui était cet homme ? Vous le savez ?

- Oui. Plus tard j'appris son nom. Il s'agissait de Salmonéus Bismarck." Je n'ai pas été aussi étonné que je l'aurais cru. Sans doute qu'une partie de moi s'en doutait. Mais cette révélation a éveillé une certitude en moi : à l'évidence cet homme avait une longévité aussi prodigieuse que celle de ma visiteuse, sinon davantage. Je doutais en cet instant que les forces de police puissent sérieusement se mesurer à lui. Nicole Pavalli était donc à ma connaissance la seule à pouvoir en venir à bout. J'hésitais à décider si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Dans le doute je m'allumais une cigarette et prêtais une oreille attentive à son récit. "Quelques minutes plus tard, je vis entrer mon ami Ricardo. De sa voix mélodieuse, il invita Priscilla à nous laisser. Elle me consulta du regard et je la rassurais."

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Chapitre 10


"C'est cette nuit là que Ricardo m'acheta à Flora." Elle prononça ces mots avec une telle banalité dans la voix que j'ai failli ne pas réagir. "Comment ça ? Vous avez été acheté ? Comme une … chose ?" J'étais atterré. Je ne comprenais plus rien. Elle se contentait de me regarder avec un petit sourire en coin. "Mon cher Rémi, vous êtes touchant. Ne comprenez vous pas que c'était là la seule et unique façon de m'avoir près de lui ? Je n'avais aucun parent pour me défendre. Aucun moyen de prouver que je n'avais pas été abandonnée aux bons soins de Flora. D'ici quelques années, je deviendrais une femme digne de l'intérêt des hommes qui fréquentaient l'établissement de Flora. D'une manière ou d'une autre, je devais rembourser ce que j'avais coûté à Flora. Je mangeais correctement, je ne subissais aucune violence.

- Mais quand même…, m'obstinais-je.

- Vous voyez ça avec vos yeux d'homme du XXe siècle. Mais en ces temps lointains, les enfants sans parents étaient à peine considérés comme des personnes à part entière. Priscilla et moi avions eu beaucoup de chance de tomber sur Flora et ses filles. Nous aurions pu faire bien pire rencontre la nuit de notre fuite. Du haut de mes huit ans, j'en étais parfaitement consciente, ne serait ce que parce que j'avais croisé en ville des enfants abandonnés dans les rues. Le spectacle n'était pas beau à voir, croyez moi. Quoiqu'il en soit, cette nuit là, il vint s'asseoir sur mon lit et prit ma petite main dans la sienne. Il portait une magnifique chevalière en or à la main droite et elle luisait dans la pénombre de la pièce. Il me parla doucement en me caressant les cheveux. J'étais très malade, me disait il, j'avais besoin de soins. Il voulait m'emmener chez lui pour s'occuper de moi. Si je voulais bien venir avec lui, bien sûr. Le voulais-je ? Je réfléchissais aussi sérieusement que mes huit ans me le permettaient de le faire à sa proposition. Vivre dans une jolie maison, manquer de rien, toutes ces choses me semblaient très attrayantes. Mais ce qui m'a décidé de venir avec lui, c'est le souvenir de mon amie en pleur après cette fameuse nuit. Je ne voulais pas connaître ça. La douleur m'effrayait quand j'étais enfant. Finalement, j'acceptais de venir avec lui. "Et Priscilla ?

- Je lui avais fait la promesse de revenir la voir le plus tôt possible. Nous nous sommes séparées en larme. Puis Salmonéus m'a pris dans ses bras et m'a emmené dehors. Il m'a installée dans la calèche, parmi de magnifiques coussins moelleux. Ricardo s'est assis à côté de moi et nous sommes partis dans la nuit. L'air frai pénétrait dans l'habitacle et j'en éprouvais un immense bonheur. J'avais chaud à cause de ma fièvre et ce souffle d'air était une bénédiction. Je ne me souviens plus de la durée du trajet, j'ai dû m'endormir. Ma première vision de la demeure de Ricardo di Médicis a été celle d'une bâtisse sombre et imposante. En entant, Ricardo a demandé à Salmonéus de me préparer ma chambre, et de veiller à ce que je sois bien installée. Puis il m'a pris par la main et m'entraîna vers les cuisines où m'attendait, me disait-il, une collation. Il devait être horriblement tard, mais la cuisinière était encore en uniforme. Les plats étaient chauds et parfumés. Mon premier repas dans cette demeure m'est apparu comme encore plus fabuleux que celui de notre arrivée chez Flora. Et dans un certain sens, il l'était.

-Pourquoi donc ?" Elle ne m'a rien répondu, laissant planer le suspens. Je ne comprenais pas les raisons qui l'avaient poussé à e raconter tout ça. Voulait elle que je comprenne ses motivations ? Probablement, mais pour l'instant, elles ne me sautaient pas aux yeux. "J'ai vécu longtemps dans cette demeure, vous savez. Ricardo engagea moult professeurs et répétiteurs pour mon éducation. Ils m'apprirent à écrire, à lire, à compter. Mais aussi à parler correctement l'italien, à apprécier le français, à aimer le latin et le grec. J'avais un professeur qui m'apprenait la musique, le chant. Toutes ces activités me tenaient occupée la journée. Les domestiques étaient à mes petits soins, bien que je ne sois pas capricieuse. Cette nouvelle existence dorée m'époustouflait.

-Et Ricardo ?

-Il passait le soir me voir, après dîner. Il tenait à ce que je lui raconte ma journée, ce que j'avais vu, ce que j'avais étudié. Je ne le voyais jamais la journée : il m'avait expliqué que ses journées étaient toutes entières occupées par son travail, sans jamais m'expliquer de quoi il s'agissait. "Ce en sont pas des choses que l'on raconte à des fillettes, tu sais. C'est terriblement barbant", me disait il sans cesse.

-Ne saviez vous pas ce qu'il faisait de ses journées ?

-Rien du tout, mon cher Rémi. Alors comme j'étais une petite fille curieuse, j'entrepris de questionner les domestiques.  Je demandais à la cuisinière, Paméla. J'allais voir les valets, les servantes, cherchant à glaner des informations sur la vie de mon bienfaiteur.

-Et ?" Ma propre curiosité avait été éveillée. Je flairais le mystère. "Personne ne voulut éclairer ma lanterne, à mon grand dam. La plupart du temps, je me faisais gentiment détourner de mon but premier, surtout par Paméla qui me savait gourmande de sucreries. Mais parfois, telle servante ou tel valet me regardaient bizarrement. Ils ne disaient rien, mais je sentais leur malaise. Je ne le comprenais pas, bien sûr, mais je le sentais." L'éclat de ces yeux ne s'était pas altéré, mais elle semblait pensive. "Et Bismarck ? Ne pouvait-il pas vous renseigner ?

-Guère plus. En temps que son cocher personnel, il allait partout où son maître allait. Et puis, je vous avoue que déjà à cette époque, je ne l'aimais pas beaucoup. Je le trouvais trop froid, trop distant. Sa voix grave m'effrayait un peu. Sa stature m'impressionnait. De plus, je crois que lui non plus ne m'appréciait pas beaucoup. Il ne me parlait pas s'il n'était pas obligé et quand il le faisait, j'avais l'impression que c'était une corvée.

-Charmant…

-N'est ce pas ? Je pense qu'il croyait alors que je n'étais qu'une tocade de son maître et que Ricardo allait bien vite se lassait de moi.

-et ses plans ont échoué ?" Bien que je ne comprenne pas encore comment ni pourquoi, je sentais que ce Ricardo di Médicis était pour quelque chose dans l'exceptionnelle présence de ma visiteuse à quelques 4 siècles de l'époque qui l'avait vu naître. Elle esquissa un sourire avant de me répondre par l'affirmative. "Oui, ses vues ont échoué. Je n'étais pas une tocade de Ricardo. Bien que je ne comprenais pas pour quelles raisons il était venu me cherchait dans cette maison close, je sentais qu'il m'aimait et qu'il ne me voulait pas de mal. Plus je grandissais, plus il devenait attentif à mes désirs. Voulais-je me marier ? Voulais-je partir ? Ma réponse était non aux deux questions. Certes, je voyais parfois des jeunes gens. Entendez que lorsque j'ai eu l'âge, je tenais salon dans sa demeure. J'avais près de moi un chaperon qui veillait à ma vertu. D'ailleurs aux yeux de tous, j'étais la nièce de Ricardo di Médicis. On avait mis au point ce stratagème quelques jours après mon arrivée dans sa demeure. Mon éducation et mes manières faisaient de moi une hôtesse recherchée. Personne ne s'interrogeait sur l'absence de Ricardo, ce dernier passant aux yeux de tous pour un homme certes cultivé mais parois un peu fantasque.

-Et Salmonéus Bismarck dans tout ça?

-Il était toujours aussi froid avec moi, mais je ne le craignais plus. D'ailleurs cela ne lui plaisait pas beaucoup. Il a toujours aimé terroriser son monde. Le fait qu'il n'y parvienne plus avec moi suffisait à le mettre en colère parfois. Le seul avec qui il ne se risquait pas à se montrait impertinent ou mauvais, c'était Ricardo. Il était lié à lui par un lien de servilité que je ne comprenais pas alors. Il dormait dans une pièce pas très loin de la cave, et personne ne se risquait à y aller en le sachant à l'intérieur. Pas même moi." Elle s'est interrompue dans son récit, les yeux fixés sur la fenêtre. Elle a remis ses lunettes de soleil avec un petit sourire en coin. "Le jour va se lever, mon cher Rémi. Il est temps que je parte.

-Non, s'il vous plait. Restez." Piteux, je me tournais vers la fenêtre. Le soleil n'était pas encore levé. Ma montre indiquait les six heures du matin. Six heures du matin ! Je devais être à pieds d'--uvre pour patauger dans la semoule dans une heure ! Ma nuit allait être courte… Néanmoins, je ne voulais pas qu'elle parte. J'aurais été incapable de dire pourquoi, mais je voulais continuer à l'écouter me raconter son histoire. Même si c'était le plus énorme bobard jamais entendu de mémoire de flic, je voulais l'écouter. "S'il vous plait. Restez encore un peu.

-Non, Rémi. Vous avez besoin de dormir. Vous devez être en forme pour votre travail. C'est important." Je me faisais l'impression d'être un adolescent amoureux. Pourtant, je n'étais ni l'un ni l'autre. Le décès de Laura me déchirait les entrailles sitôt que je m'égarais à y penser. C'était comme si Nicole Pavalli m'avait envoûté. Impossible de dire si c'était sa voix ou son récit qui m'avaient ainsi ensorcelé, mais je voulais continuer à écouter les deux. "Je reviendrai. Demain soir. A la même heure qu'aujourd'hui. C'est promis." Tout en parlant, elle se dirigeait lentement vers la sortie. Elle prit mes mains dans les siennes, plongeant son regard dans le mien. Même masqués par ses verres, je sentais ses iris argentés sur moi. "C'est promis, Rémi. Demain soir, je reprendrai mon histoire. Faites de beaux rêves." Et avant que j'ai eu le temps de faire quoi que ce soit, elle déposa dans mon coup un baiser aussi brûlant que ses mains étaient fraîches. Le temps que je réagisse, la porte s'était fermée sur elle, me laissant comme souvenir de sa présence que des effluves de fleurs. Sonné, je marchais vers ma chambre. Tandis que je traversais le salon, une faible lueur attira mon regard. M'avançant jusqu'à la table basse, je me suis rendis compte que c'était la lumière de ma lampe qui jouait avec les boutons de nacre qui ornaient les  gants de ma visiteuse nocturne. Les avait elle oublié ou laissé ici sciemment ? Aucune idée, mais une certitude. Freud avait raison : les actes manqués sont révélateurs…



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Chapitre 11


Lorsque je suis arrivé au bureau, une pile de dossiers m'attendait déjà. Avant de me lancer dans leur étude, ce devait être les rapports des légistes, je me suis servi une tasse de café noir. Ma nuit avait été agitée, en plus de courte. J'avais l'impression d'avoir couru le marathon, tellement j'étais fatigué. La soirée d'hier avait un air d'illusion dans la froide lumière du commissariat. Se peut-il que j'aie rêvé cet entretien avec cette mystérieuse Nicole Pavalli ? J'avisais un collègue qui se préparait aussi un café. Après une bonne inspiration, je me décidais à l'aborder. "Excuse moi Jean-Marc, puis je te demander un service ?

-Bien sûr, mon vieux. Si je peux t'aider. Encore désolé pour Laura. C'est moche.

-Oui, comme tu dis, répondis-je, me contenant pour ne pas crier ma peine. Voilà, j'aimerais que tu fasses des recherches pour moi.

-Des recherches ? Quel genre de recherches ?

-C'est à propos de quelqu'un dont Laura m'a parlé avant de…" Je découvrais mon mensonge en même temps que ce pauvre Jean-Marc Puylong. "Pourquoi ne pas t'en chargé toi même ?" Je répondis à sa question en regardant d'un air malheureux la pile de dossiers qui attendait que tonton Rémi vienne la voir. J'en profitais également pour lui glisser le nom et le signalement de mon énigmatique visiteuse "Ok, je vois. Bon, il te les faut pour quand ces infos ?

-Le plus tôt possible. Encore une chose…

-Vas-y, dis moi.

-Discrétion sur ce service. Si jamais cette pauvre fille est hors du coup, le chef va me faire passer pour sénile et m'éjecter de l'affaire." Mon collègue me lança un regard en coin avant de m'assurer de sa discrétion. Pourquoi faisais-je ça ? Pas la moindre idée, sinon que tout ce mystère autour de cette femme commençait à me taper sur les nerfs. Si son histoire était vraie, alors mon système de pensées allait en prendre un sérieux coup dans l'aile. Et je n'étais pas prêt pour ça. L'esprit dopé par le café, je me suis assis à mon bureau, prêt à affronter leur contenu. Rien de bien réjouissant : les pages et des pages de rapport, avec des descriptions précises des différentes marques présentes sur les victimes, photos à l'appui. Puis quelques autres pages sur les infos recueillies au cours de l'enquête : témoignages des parents de la victime, fouille de l'appartement et autres divers notes figurant dans le dossier pour leur pertinence. Lire les dossiers des trois victimes ne m'a posé aucun problème : Antoine Sénéchal, Marie-Thérèse Lafosse et Jacqueline Gontier. Des noms d'une banalité affligeante, mais des trépas dignes des meilleurs romans noirs! Je m'en sis voulu d'avoir formulé à voix haute une telle opinion. Puis ça a été le tour du dossier de Laura. Je l'ai dévisagé un moment sans l'ouvrir, comme s'il allait me mordre. Pris d'une soudaine envie de grand air, je suis sorti faire un tour. J'avais eu une idée, mais ce qui l'avait motivé était tellement peu professionnel que je n'osais l'exposer. Je suis donc retourné à l'endroit du dernier acte de la vie de ma chère Laura. La circulation a été une bénédiction, car elle m'empêchait de ruminer des idées noires. Je savais que son corps sans vie avait été trouvé dans une ruelle près du Parc aux Sept Lions, lieu qui devait son nom aux sept statues de bronze qui encerclait son périmètre. Laura habitait tout près, à un pâté de maison de là, peut être. Que faisait elle si tard dans un tel endroit ? C'est la première question que le commissaire m'avait posée, et j'avais été incapable d'y répondre. Du reste, je n'avais pas encore mis les pieds sur les lieux du crime, vu que je n'avais été entendu que comme témoin. Je me souvenais encore des efforts que j'avais dû déployer pour convaincre mon chef de me laisser sur cette affaire malgré mon implication personnelle. Je tenais donc à voir par moi-même la scène du crime. Revendication somme toute légitime, me dis-je, de vouloir voir par soi même où le crime s'était déroulé.

La journée était ensoleillée, les passants marchaient d'un pas alerte, ignorant ou feignant d'ignorer que l'endroit avait reçu son baptême de sang. Un vent frai soufflait quand même pour rappeler que l'on n'était pas au printemps. Le rapport stipulait que "la victime avait été découverte dans la rue Poulette, sans vie". Ça faisait atrocement film de série B. Comment peut on donner un nom pareil à une rue ? Où le maire avait il sa tête le jour où il nomma ainsi cette rue ? Bref. Sans importance. La rue en question tenait plus de la venelle que de la rue. Un pauvre lampadaire devait peiner à l'éclairer, le soir venu. Tout un côté de la rue était occupé par des poubelles. Sans doute l'entrée de service du restaurant d'à côté, l'Amphitryon, à en juger par la porte qui perçait le mur. Laura avait été découverte à 6 heures du matin, les légistes estimaient qu'elle avait été tuée vers les 3 heures du matin. Que faisait-elle ici à une heure pareille ? Perplexe, je regardais autour de moi dans l'espoir de comprendre quelque chose, de voir quelque chose qui éclaire ma lanterne… Rien, hormis la devanture de l'Amphitryon. Une misère. Pris d'une inspiration, j'entrais dans le restaurant. Un serveur m'informa que le restaurant n'ouvrait pas avant 11h30. Ma montre indiquait 9 heures passées. Avisant que je ne partais pas, il précisa que le restaurant ne proposait pas de petit déjeuner. "ça y est, vous avez fini ? Je peux en placer une ? Je me présente, inspecteur Dumarchant.

-Pardonnez moi, inspecteur, je … enfin vous ne ressemblez pas à un flic… policier, je veux dire." A voir son malaise, j'étais prêt à parier qu'il avait eu maille à partir avec la maréchaussée les gens qui ont la conscience clean ne craignent pas les flics. "Peut importe, vous saurez maintenant que l'habit ne fait pas le policier. Je viens vous voir à propos des événements tragiques qui ont eu lieu dans la ruelle d'à côté. Vous savez de quoi je parle ?

-Oui, pauvre fille. C'est moche de mourir comme ça." Je ne pouvais qu'être d'accord avec lui. Il s'était arrêté de laver le sol et tripotait l'anneau qu'il portait à son oreille. Je le mettais mal à l'aise, ce garçon. "J'aurai aimé que vous me disiez deux ou trois choses là-dessus." Ma requête l'embarrassait visiblement. Néanmoins, il consentait à me répondre, si j'en jugeais par son hochement de tête. "Je n'ai pas grand-chose à vous apprendre, vous savez, inspecteur.

-Attendez au moins de savoir ce que je veux, avant de me dire ça. Votre restaurant ferme à quelle heure ?" Revenu sur son terrain, le jeune homme s'est détendu. Son visage délicat devait faire des ravages auprès de la gente féminine. "Et bien, nous fermons nos portes vers minuit en général.

-Ce qui signifie qu'à minuit et demi, le restaurant est vide ?

-Non, pas du tout, inspecteur. Ce que je veux dire, c'est que le dernier client est en général parti à minuit. Reste après la vaisselle à terminer.

-Ce qui nous fait du….?

- Je ne sais pas moi… Une heure du matin, environ." Sa réponse ne m'aidait pas, il le voyait bien. Le restaurant était fermé et vide deux heures avant que Laura ne trouve la mort. "Avez-vous vu quelque chose d'insolite en partant ?" Il a pris ma question très au sérieux et y a réfléchi longuement. "En fait, je me souviens bien de quelque chose, mais c'est tellement idiot…

-C'est pas grave, ça. Dites toujours.

-J'en ai pas parlé plus tôt, parce que celui de vos collègues qui est venu nous voir a été désagréable. A l'entendre, c'était notre faute si le femme était morte. Du coup, j'y ai pas pensé sur le moment." Il cherchait à se dédouaner. A en juger par les méthodes de bulldozer, le commissaire avait dû envoyer l'inspecteur Carmintot. Sympa comme garçon, mais aussi doux qu'un biker en tutu ! Je lui offrais l'absolution et attendis qu'il crache le morceau. "Voilà. C'est trois fois rien, vous verrez. Ça s'est passé alors que je fermais la porte à clé. Le patron me laisse fermer quand il est pas là, dit il en se redressant devant cette marque de confiance. La porte bloque un peu, vous voyez. J'étais là, dans le noir ou presque, le lampadaire est grillé, vous comprenez. Sa lumière clignote.

-Oui ?" Mon ton impatient a eu raison de son goût pour le suspens. Sans doute voulait-il me faire payer les manières de Carmintot. "Et bien, un type m'a abordé, vous voyez. J'ai eu la trouille de ma vie, parce que je ne l'avais pas entendu arriver.

-Un type ? Un type comment ?" Carmintot, mon ami, si à cause de toi et de tes manières, on est passé à côté d'une info importante, ça va chauffer pour ton matricule ! "Un type grand. Balaise, si vous voyez ce que je veux dire. Avec une grosse voix, très grave.

-Vous avez vu son visage ?" Négation du chef. "Il avait un grand manteau et le col relevé. Et puis la lumière ne m'a pas aidé. Mais j'ai remarqué quand même un truc… Il avait la peau drôlement blanche, ce mec. Comme s'il avait mis je ne sais quelle crème sur sa figure." J'enregistrais l'info pour rumination ultérieure. "Il voulait quoi ce grand balaise ?

-Il cherchait le rue des Hauts Vents. Je lui ai indiqué où c'était, il m'a remercié et avant que je dise quelque chose de plus, il avait disparu. Comme ça !" Pour ponctuer sa phrase, il a claqué des doigts. La rue en question était juste à côté de celle de Laura. Se tromper était facile. Surtout quand on ne connaissait pas la ville. Mauvais endroit au mauvais moment. "Que vouliez vous donc ajouter ? demandai-je au jeune homme décidemment plein de ressources.

-Que s'il était en voiture, il allait devoir faire le tour, parce que la rue est en chantier. Mais c'est idiot comme remarque, quand on y pense…

-Pourquoi ?

-Je n'ai pas entendu de bruit de moteur. Si ça avait été le cas, j'aurais pas sursauté comme je l'ai fait." Après plusieurs minutes à vérifier qu'il n'avait rien d'autre dans son chapeau, je le quittais. Chemin faisant, je me promettais de dire le fond de ma pensée à Carmintot concernant ses méthodes d'investigation… Par acquis de conscience, j'allais vérifier les dires du gamin. Effectivement, la rue des Hauts Vents était en chantier. Pour y pénétrer, il fallait passer par l'autre bout. La rue était pile en face de celle de Laura. Mauvais endroit au mauvais moment. Mais ça n'expliquait pas comment elle s'était retrouvée dans cette damnée rue Poulette à 3 heures du matin. Rien ne l'expliquait. La rue des Hauts Vents était essentiellement une rue résidentielle, comme la rue de Laura. Seule différence, la présence d'une épicerie ouverte 24 heures/24. A se demander comment les propriétaires arrivaient à avoir une vie sociale.

 

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Chapitre 12

 

Cette question n'était pas prévue au répertoire que je me proposais de poser au propriétaire de ladite épicerie. Un son de clochette a accueilli mon entrée, et une courte attente la suivit avant que je ne voie arriver le brave épicier. Il faisait partie de cette catégorie de gens qu'il est difficile de situer quand on cherche leur âge. Mais sur ce chapitre, mes vues s'étaient largement agrandies ces derniers temps ! Après quelques paroles sur l'air du temps, indispensables pour mettre tout bon témoin à l'aise, n'en déplaise à Carmintot, j'en suis venu au but de ma visite. Effectivement, le brave monsieur avait vu quelqu'un passait devant sa boutique, mais il ne s'était pas arrêté. La description était donc sommaire, mais collait assez bien avec celle du serveur : une ombre assez grande, qui marchait d'un pas vif dans la nuit. "Vous en êtes sûr ? le questionnai-je, plus par acquis de conscience qu'autre chose.

-Oui, monsieur l'inspecteur. Vous savez, il ne passe pas grand monde à cette heure là. Et un grand machin comme ça passe rarement inaperçu. Ça devait être un albinos, ce gars. Vous savez, je lis pas mal, la nuit en attendant le chaland…

-Un albinos ? Comment ça un albinos ?

-Bin vu la peau blanche qu'il avait, ça ne pouvait pas être autre chose qu'un albinos. Justement, j'ai lu l'autre nuit…

-Oui, oui, oui, je vous crois. Mais vous l'aviez déjà vu dans le quartier ?

-Non, jamais. Pensez que je m'en souviendrais sinon. Toutefois…

-Oui ? " Une partie en moi voulait le secouer de toute ses forces. Mais je tentais de museler cette part sauvage et en colère. Cependant, le brave épicier devait sentir ma tension, car il recula un peu derrière son comptoir. "Et bien, j'ai vu passer une autre personne dans le coin il y a pas 15 jours. La nuit aussi.

-Dîtes donc, c'est drôlement remuant pour un quartier calme. Une autre personne ?

-Oui. C'était une jeune femme. Très séduisante.

-Comment vous le savez ?

-Elle est entrée pour demander son chemin. Elle cherchait la maison d'une amie et elle s'était perdue." N'osant y croire, je lui ai demandé le signalement de la jeune femme très séduisante. Et, ô surprise, sa description collait trait pour trait à Nicole Pavalli. Que faisait-elle par ici ? Je me promis de lui poser la question sitôt que je la verrais. "Vous la connaissez, inspecteur ?

-Non, mentis je, mais l'information est intéressante et mérite d'être vérifiée. Je vous remercie. Bonne journée" sur ces bonne paroles et l'esprit plein de questions, je repris le chemin du poste.

Une fois revenu au bureau, j'ai cherché Jean Marc des yeux, pressé qu'il me délivre le fruit de ses recherches sur Nicole Pavalli, plus encore maintenant que j'avais le témoignage d'une personne de bonne foi qu'il l'avait vu traîner dans le quartier quelques jours, quelques semaines peut être, avant la mort de Laura. Mais bon sang, que fichait elle là bas ? Traquait-elle ce Salmonéus Bismarck comme elle le prétendait ? Ou y avait-il autre chose derrière tout cet embrouillamini ? Je me suis affalé à mon bureau avec un soupir. Il fallait que je dorme. Les quelques heures grappillées à la nuit n'étaient pas suffisantes. Mais je ne pouvais pas m'arrêter, pas tant que le meurtrier ne serait pas entre mes mains. Ou mort, s'il s'avérait que le récit de Nicole Pavalli était véridique. Parce que je suis sûr et certain que les cellules des prisons sont inefficaces contre une créature qui a au bas mot 500 ans. "Tu as une sale gueule, Rémi." Je levais le nez de ma tasse de café que j'avais dû aller chercher (parce que les tasses à café, ça marche pas !) pour voir mon Jean-Marc Puylong posté devant mon bureau, l'air inquiet. "Je te remercie de ce compliment qui me va droit au cœur. Que puis je pour toi ?

-Pourrais tu venir deux minutes, s'il te plait ? Il faut que je te parle."

Sans un mot de plus, il partit en direction des vestiaires. Je le suivais. "C'est qui cette Nicole Pavalli ? me demanda t-il sitôt que nous avons trouvé un coin tranquille.

-Justement, c'est ce que je voudrais savoir. Pourquoi ? Tu as trouvé quelque chose ?

-Oui et non. Attends, je t'explique. Déjà, une chose est sûre, elle n'a aucun code d'identification. Je veux dire, pas de carte bleue, ni de permis de conduire, ni de carte d'identité, rien. Que dalle. Ensuite, il semblerait aussi, qu'elle n'ait fréquenté aucune école de toute sa vie. Inconnue au fichier de l'Education National, idem avec celui de tous les services auxquels j'ai pu pensé. Et ça en fait, crois-moi. Elle n'est pas non plus dans l'annuaire, ne semble pas posséder un portable, ce qui semble impossible de nos jours. Plus dingue, je n'ai rien trouvé à son nom, ni maison, ni appartement, ni maison, pas même un garage. Rien de rien. Personne ne la connaît. Son signalement est inconnu des services de police. Si je te connaissais pas, je dirais que tu m'as fait un blague.

-Tu as trouvé tout ça en si peu de temps ?  !je suis bluffé.

-Mais il faut pas longtemps pour trouver du vent, crois moi. Je n'ai fait que les croisements habituels. Ça a été rapide, parce que j'ai croisé du rien avec du rien. Et pour ça, deux heures suffisent. Et tu sais quoi ?

-Non, dis moi.

-J'aime pas. Je veux dire, tout le monde laisse des traces de nos jours. Les paiements par carte, les factures de téléphone, le médecin, n'importe quoi. De nos jours, tout est informatisé, ou presque. C'est ahurissant que je ne trouve absolument rien sur cette minette ! Et pourtant, les faits sont là. Tu es sûr du nom ?

-Oui. C'est la seule chose dont je sois sûr.

-Alors c'est un mystère. Enrobé dans une énigme. Je ne pige pas où est l'astuce.

-Crois moi, moi non plus, je ne pige pas où est l'astuce. Si tant est qu'il y en ait un, d'astuce." Jean-Marc me lança un regard oblique, s'excusa et partit. Ce gars est un pur génie en informatique. Une vraie bête. Si lui n'a rien trouvé sur Nicole Pavalli, personne ne le peut. Je l'ai vu trouvé la trace d'un suspect avec juste son nom ou son numéro de téléphone. Si on le laisse faire, dans une enquête, il finit par presque pouvoir vous dire ce que le type à manger la veille ! Qu'il n'ait absolument rien trouvé sur elle m'inquiétait et m'intriguait à la fois. Je ne pouvais pas lui révéler ce que je savais, mon goût vestimentaire ne va pas jusqu'aux chemises qui s'attachent dans le dos. Et je ne tiens pas à être écarté de l'affaire pour délire aggravé. Mon chef sait que je suis un bon élément, et c'est ce qui m'a sans doute valu de pouvoir enquêter sur cette affaire, ce n'est pas le moment de lui faire regretter sa décision.

 

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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 14:15
Chapitre 5

Depuis mon enfance, je suis d'un esprit curieux. C'est plus fort que moi, dès que je suis face à un mystère, je ne peux m'empêcher d'essayer de le résoudre. Laura me disait souvent que j'avais bien trouvé ma vocation, que je faisais un excellent policier, parce que je ne me laissais pas impressionner facilement. Ce penchant m'avait d'ailleurs permis d'éviter de nombreux pièges dans ma profession. Et ce que j'ignorais alors, c'est qu'il allait m'embringuer dans une histoire incroyable.
La veillée mortuaire nous a donné l'occasion d'évoquer Laura. Sa mère n'a pas cessé de me jeter des regards réprobateurs, comme si c'était ma faute si sa fille était morte. "Déjà qu'avant, elle ne m'aimait pas beaucoup. Mais maintenant, c'en est fini de moi." Daniel m'a tendu un verre, un pauvre sourire aux lèvres. "Ne t'en fais pas. ça n'a rien de personnel. Elle aurait agi comme ça avec n'importe qui d'autre.
- Merci. Tu es très rassurant.
- Comprends-moi bien : ton seul crime est d'avoir aimé Laura. Elle est comme ça depuis la mort de Papa." Je comprenais mieux pourquoi Laura vivait loin de sa famille. Et aussi pourquoi elle tenait tant à sa liberté.
Avant que j'aie eu le temps de me préparer à l'orage, la très redoutable Evelyne Flamant nous avait rejoint. Bien que je ne doutais pas de sa douleur de mère, je n'ai pu m'empêcher de trouver qu'elle avait trop forcé sur le noir. "Bonsoir, Rémi. Vous buvez pour oublier ?" Lorgnant sur le verre vide qui l'accompagnait, j'ai retenu la remarque mordante qui me brûlait les lèvres. "On vous a attendu, tout à l'heure. Où aviez-vous disparu ?
- Je suis allé saluer une amie qui était venue à l'enterrement.
- C'est ce que j'ai vu. Une pâlichonne avec des airs de croque-mort. Qui est cette fille ?
- Maman, s'il te plait. C'est pas le jour." Evelyne a dévisagé son fils d'un air mauvais. Je supposais que son verre vide était le dernier d'une longue lignée. Son haleine tendait à me donner raison. "Que veux-tu dire par là ? Je trouve, moi, que c'est parfaitement le jour. Quand je vois le fiancé de ma pauvre chérie fricoter avec une autre le jour même de son enterrement, je me dis qu'il y a maldonne." Je me suis senti rougir. L'idée qu'on ait pu se méprendre sur mon comportement avec cette femme, Nicole Pavalli, m'était intolérable. "Ecoutez-moi, Evelyne. Ne vous en déplaise, je ne faisais rien de mal. Discuter n'est pas un crime, que je sache.
- Vous aviez l'air bien à l'aise, tout à l'heure." J'étais d'accord pour accepter sa douleur. J'étais moi-même sonné. Cependant, je ne pouvais tolérer l'averse de fiel qu'elle faisait pleuvoir sur moi. "Je vous en prie, épargnez-moi vos sous-entendus à deux balles. Je sais que vous n'avez jamais accepté notre relation. Mais j'aimais votre fille. De tout mon c--ur. Alors, oubliez moi un peu, voulez-vous ?" Je l'ai planté au milieu du salon pour sortir respirer dehors. Le vent frai m'a fait du bien. Malgré moi, mes pensées revenaient vers cette Nicole Pavalli. Jamais je n'avais rencontré une personne qui suscitait autant ma curiosité. A chacune de nos rencontres, les questions qu'elle éveillait en moi grossissaient mon escarcelle. Pour tout dire, j'avais plus de questions que de réponses. En dépit de ses lunettes noires, j'avais senti sa tristesse. Elle était bien réelle.



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Chapitre 6

J'avais convenu avec Daniel de lui faire parvenir les objets de Laura qu'il souhaitait conserver : bijoux, albums de famille, etc.… Je désirais juste garder les photos de nous deux et Max, l'ours en peluche violet que je lui avait gagné à une fête foraine. Je laissais le soin à sa famille de se débrouiller avec le mobilier. Sa mère m'avait dit qu'elle s'en chargerait. Je lui faisais confiance pour s'occuper des affaires de sa fille.
On était le soir de la Toussaints. Les rues pullulaient de gamins déguisés qui en vampire, qui en fantôme ou en tout autre monstre gluant. Je risquais retrouver ma porte tapissée de papier toilette pour n'avoir pas approvisionné ces petits monstres en sucreries, mais je préférais passer ma soirée à emballer les affaires de Laura.
Il était plus de 23h lorsque je chargeais le cinquième carton dans le coffre de ma voiture. "Faites attention. Ce soir, tous les chats sont gris" Je sursautais, échappant le carton qui s'est répandu sur le trottoir. Nicole Pavalli se tenait debout derrière moi, immobile. " Oh Seigneur, mon c--ur ! Que fichez-vous ici ?
- Désolée de vous avoir fait peur. Ce n'était pas mon but.
- Que fichez-vous ici ? " Je ramassais les affaires échappées du carton. Elle s'est accroupie pour m'aider. " Ne touchez à rien ! " Sans un mot, elle s'est redressée et a reculé d'un pas. "Pardon. Vous ne m'avez rien fait.
- Ce n'est rien. Je vous comprends.
- Alors, que faites vous ici ? " Elle a regardé à droite, puis à gauche avant de reporter son regard sur moi. Elle portait encore ses lunettes noires. Je me demandais confusément comment elle pouvait y voir quelque chose. Et aussi pourquoi elle les portait en pleine nuit. Le souvenir des deux iris luisants de notre première "rencontre" dans la rue Aristote m'est revenu à l'esprit. Avais-je rêvé ? "Vous avez le temps de boire quelque chose ?" J'acquiesçais. Je posais mon carton dans mon coffre et verrouillais la voiture.
Nous avons marché jusqu'à un café que je ne connaissais pas, à quelques rues de l'adresse de Laura. Le mur du fond de ce bar était fait de roche nue, me faisant penser à quelque grotte urbaine. Le serveur s'est approché au but d'un moment. J'ai opté pour un café très noir. Elle n'a rien pris, pas même un verre d'eau.
A chacune de nos rencontres, le mystère entourant cette femme grandissait. Et même à ce moment-là, alors qu'elle se tenait assise face à moi dans ce café, l'énigme restait entière. " Qui êtes vous ?" Elle a esquissé un fin sourire. "Eh bien, je m'appelle Nicole….
- Oui, oui, oui, je sais. Vous m'avez déjà dit tout ça. Mais ça ne me dit toujours rien sur vous.
- Que voulez-vous donc savoir ?" Le nombre de questions en rang dans ma tête était impressionnant. Et le fait qu'elle semblait disposée à me répondre me coupait le sifflet. "Ecoutez, je ne connais de vous que votre nom. Avouez quand même que c'est peu.
- Soit. Que désirez-vous savoir ?" Je l'observais par dessus ma tasse. La réponse était simple : tout. Je décidais de commencer doucement. "Que me voulez-vous ?
- A vous, rien. Mais votre amie est la dernière victime du … tueur. Et si j'en crois ce que vous me dites, la police est sur les dents. Sans rien trouver de nouveau, toutefois." J'ai hoché la tête sans un mot. Mais quel rapport avec elle ? Je le lui ai demandé, risquant de la voir se lever. " Avec moi, rien. Enfin, pas directement. Mais je traque celui qui est responsable de la mort de votre amie depuis longtemps. Et vous êtes mon seul lien avec les forces de la maréchaussée. Je ne voudrais pas qu'ils le trouvent avant moi…
- Vous savez qui c'est ?" Je la dévisageais avec une intensité soudaine, le c--ur s'emballant gentiment. Se pouvait-il qu'elle sache quelque chose d'aussi vital que l'identité du meurtrier de Laura et qu'elle le garde pour elle ? " Il s'appelle Salmonéus Bismarck. Et avant que vous ne vous mettiez en tête de me conduire manu militari au poste de police le plus proche, sachez qu'ils seront impuissants à l'arrêter." Salmonéus Bismarck. Je répétais son nom à voix basse plusieurs fois. Un curieux nom, pour tout dire. Je n'arrivais pas à imaginer une personne pouvant répondre à un tel patronyme. "Mais pourquoi a t-il fait ça à Laura ?
- Oh, elle ou un autre, pour lui c'est pareil. Ne le prenez pas mal, mais c'est juste un malheureux concours  de circonstances.
- être au mauvais endroit au mauvais moment…
- Voilà" Elle avait l'air réellement peinée. Pas seulement pour moi, je pense. C'était comme si elle partageait ma douleur. Elle est restée un moment silencieuse, plongée dans ses pensées. " Et pour être franche, je n'aimerais pas que la police lui mette la main  dessus avant moi
- Auriez-vous un compte à régler avec cet homme ?" Elle n'a rien ajouté, elle s'est contentée de hocher la tête. Je n'ai rien pu savoir d'autre sur ce sujet ce soir là.
Salmonéus Bismarck. Savoir le nom du meurtrier de Laura ne m'a pas apporté le soulagement escompté. Je mourrais d'envie d'aller voir le commissaire Palanti et de lui révéler cette précieuse information. Lorsque j'ai fait part de cette idée à Nicole Pavalli, elle m'a agrippé le bras avec une force qui m'a surpris. "Certainement pas ! Bismarck est à moi ! Et puis, votre Palanti, aussi formidable soit il, ne pourra rien faire contre Bismarck. Autant me le laisser.
- Parce que, vous, vous pouvez l'arrêter ?" Je masquais à peine mon étonnement. Elle était si mince, avait l'air si fragile que je doutais qu'elle soit capable d'arrêter un assassin tel que ce Salmonéus Bismarck. Un type qui avait trucidé Dieu sait comment trois personnes en quelques semaines. "Vous seriez étonné, Rémi. Vous venez ? Il se fait tard…" Un coup d'--il à ma montre m'a appris qu'il n'était pas loin d'une heure du matin. Je n'avais pas vu le temps passer. Dehors, une pluie fine nous a accueilli, accompagnée de vent, créant un froid mordant en ce jeune matin de novembre. Les rues étaient presque désertes de tout passants. Seules quelques voitures circulaient dans la cité endormie. Nos pas résonnaient sur le bitume. Hormis le contexte inhabituel et quelque peu inquiétant de la situation, cette balade était plutôt agréable. Nous avons marché environ un kilomètre sans encombre. Pourtant nos pas nous conduisaient vers des rues où la sécurité des citoyens était assez peu garantie. Habitait-elle par ici ? A en juger par son pas assuré, cela devait être le cas. Et comme je le redoutais au fond de moi, notre route a croisé celle d'une bande de voyous au détour d'une ruelle. Sur quatre, trois étaient armés de couteaux. Des lames de belle taille, de celle étudiées pour trancher net dans la chair. "Alors, on se balade ?" Nicole a détaillé son vis à vis avec un calme olympien. "Eh, regarde-moi la mignonne avec ses lunettes, elle fait sa star." Celui qui venait de parler était le seul à ne pas être armé. Néanmoins, sa carrure impressionnante et son allure de brute épaisse l'en dispensaient largement. Il a avancé la main en vue de s'emparer des lunettes de la jeune femme. Cette dernière lui a claqué la main comme on punit un enfant touche à tout. Peu habitué à être ainsi traité, il s'apprêtait à lever la main sur elle. C'est alors que, n'écoutant que mon esprit chevaleresque, je m'interposais. Et malheureusement pour moi, l'esprit chevaleresque n'est plus de mise de nos jours. Avant que je puisse esquiver quoi que ce soit, un déluge de coups s'est abattu sur moi, me laissant avachi et douloureux contre un mur. Une fois mon compte réglé, ces joyeux compères ont reporté leur attention sur Nicole. Ils ont tourné autour d'elle comme des matous autour d'un plat de mou, l'appelant "mignonne" ou "poupée". Difficile de savoir s'ils s'intéressaient plus à son portefeuilles ou à sa vertu. L'erreur qu'a faite l'un d'eux a été de tenter de lui peloter les fesses. Avant qu'aucun n'ait pu réagir, le coude de Nicole a frappé violemment dans les côtes de l'homme, suivi de près par un méchant coup de talon sur les pieds. Puis, sans même avoir l'air de viser, ce même pied est allé cueillir le couteau d'un des agresseurs qui n'avait pas été assez vif pour reculer. Toutefois, même le meilleur combattant ne peut avoir des yeux partout. Elle n'a pu parer la claque qu'un de ces joyeux drilles lui a administré, faisant voltiger ses lunettes noires. "Les gars, vous n'auriez pas dû faire ça" Sa voix avait des intonations rauques qui m'a glacé l'échine. Un bref instant, son regard a croisé le mien. Malgré moi, je n'ai pu réprimer un gémissement. Ses iris étaient luisants comme deux pièces d'argent ! Elle a regardé chacun des agresseurs, lentement, un par un, un méchant sourire aux lèvres. Je n'aurais pas aimé être le destinataire d'un tel sourire. D'ailleurs, les bénéficiaires ne semblaient pas au comble du bonheur non plus. Ils l'ont regardé en bredouillant, tandis que leurs jambes les emmenaient loin d'elle. "Vous allez bien ?" Bien qu'ils brillaient toujours, ses yeux avaient un éclat plus doux. "Ben… Euh, oui. Enfin je crois." Elle m'a aidé à me remettre sur mes pieds, m'offrant le soutien ferme de son bras. Elle a récupéré ses lunettes et les a rechaussé. "Mais vous êtes qui, sacré bon sang ?
- Ne jurez pas. Allez venez.
- Vous êtes blessée ?" Une des manches de son manteau avait été clairement déchirée, probablement d'un coup de lame affûtée. Elle a considéré le tissu d'un air désolé. "Pensez vous, c'est l'étoffe qui a tout pris. Je vais être quitte pour en acheter un autre. Dommage, je l'aimais bien celui-là."
Elle m'a reconduit jusqu'à l'ancien appartement de Laura avant de s'en retourner vers ces rues mal famées. "Prenez soin de vous. Faites de beaux rêves. Bonne nuit." Il était incroyablement tard et les événements musclés de ces dernières heures avaient fait des ravages sur mes nerfs. Me sentant incapable de faire un pas de plus pour la soirée, j'ai renoncé à rentrer chez moi. Je suis entré dans l'appartement de Laura et, tandis que je me dirigeais vers la chambre, j'ôtais péniblement mes vêtements. Puis, sans aucun préambule, je m'écroulais sur le lit, m'enfonçant dans un sommeil que j'espérais sans rêve.


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Chapitre 7

Durant tout le mois de novembre, ma sordide petite vie tentait de reprendre ses droits. J'avais repris mon travail, mon chef avait statué sur mon sort et décrété que je resterais sur l'enquête tant que mes sentiments ne voileraient pas mon jugement. Bien entendu, la presse parlait toujours des meurtres qui frappaient la ville depuis plusieurs mois. La population n'aime pas savoir qu'un monstre rôde impunément dans sa cité et que la police est inefficace à l'arrêter. Evidemment, savoir le nom de cet ignoble individu m'était une véritable torture. Vous me direz, rien ne m'empêchait d'aller dans le bureau du commissaire Palanti et de tout lui déballer. Mais pour être tout à fait franc avec vous, je ne me voyais pas lui expliquer comment j'avais eu connaissance de cette information. Impliquer Nicole Pavalli ne me paraissait pas être une bonne idée. Bien que je sois incapable de dire pourquoi alors, j'en étais intiment convaincu. D'autre part, l'étrange sensation d'être épié ne me quittait pas, même si je ne voyais personne pour justifier cette impression.
Un après-midi, alors que je m'accordais une pause après avoir passé des heures à fouiller comme un damné dans les dépositions et les rapports, je décidais de descendre me prendre un café à la machine. Là, j'ai surpris une conversation entre deux collègues. Ils parlaient de celui que la presse – jamais à court de tournures imagées – avait fini par surnommer " la Sangsue" et que moi, je connaissais sous l'identité de Salmonéus Bismarck. je me demandais comment la presse savait déjà pour le meurtre, le corps avait été trouvé à peine quelques heures plus tôt, par un passant qui baladait son chien. Une femme, d'environ 40 ans, on ne connaissait pas son identité, elle n'avait aucun papier sur elle. "En tout cas, il a bon goût, l'animal. La pauvre fille, elle était drôlement mignonne. Mais moins gironde quand même que celle d'avant. Tu sais, la blondinette." M'apercevant  du coin de l'--il en train de fulminer, les poings tellement serrés qu'ils en étaient douloureux, l'autre planton a flanqué un grand coup de coude dans les côtes de son collègue. Il me fixait en rougissant, vite imité par l'autre. Sans un mot, je me suis avancé, la démarche raide, j'ai pris mon café avant de remonter, la rage au c--ur. En cet instant précis, je maudissais Nicole Pavalli qui me forçait à garder un si terrible secret.
En sortant du bureau, j'allais m'acheter des cigarettes. Pour faire plaisir à Laura, j'avais essayé d'arrêter, mais depuis sa mort, mon vice m'avait rattrapé. Je profitais de l'occasion pour acheter le journal. Je voulais comparer les sources de la presse et nos propres pistes. Puis je suis entré dans un café pour lire l'abondant article consacré à ce récent meurtre. La une annonçait que "tous les détails sur cette affaire horrible" seraient révélés dans les pages intérieures. La dernière victime, du nom de Marie-Louise Romescheck, était secrétaire médicale. Elle avait été retrouvée totalement exsangue, abandonnée dans une ruelle. L'article poursuivait sur les efforts – apparemment vains – de la police pour découvrir l'identité du coupable. Le journaliste avait demandé son avis à un collègue et ce dernier avait déclaré "que seule leur mort horrible liaient les victimes entre elles au point où en est l'enquête". Et il demandait à toute personne en possession de renseignements utiles de bien vouloir contacter le commissariat. Dois-je vous dire à quel point cette requête me tourmentait ? Un bref moment, j'ai été séduit par un appel anonyme. Tandis que le café se remplissait doucement, j'ai soudain été pris d'une brusque et inexplicable poussée de claustrophobie. Je ne pouvais plus rester une minute de plus dans ce bistrot. J'abandonnais l'argent à côté du journal avant de partir comme un voleur.
Garder ce secret m'était de plus en plus pénible, surtout que je n'en comprenais pas la raison. Demander à Nicole Pavalli aurait été une bonne idée si j'avais su où la trouver. Rien ne me disait qu'elle vivait dans la rue où elle m'avait précédemment conduit. D'autre part, je n'avais pas très envie de remettre les pieds dans cette venelle où je m'étais fait molesté. L'orgueil blessé est mauvais conseiller. C'est alors qu'en rentrant chez moi, je l'ai vu qui m'attendait sur le trottoir, comme si elle avait lu mon souhait dans mes pensées. Toujours vêtue de noir de pied en cap, elle attendait, immobile, indifférente au vent qui jouait dans ses cheveux et fouettait son long manteau. "Vous m'attendez depuis longtemps ?" Elle a nié du chef en s'avançant vers moi. Lorsqu'elle a été assez près, elle a agrippé mon bras, fermement mais sans agressivité. "Vous m'accueillez un moment dans votre demeure ? Nous devons discuter.
- Mais… Mais volontiers. Venez." Tandis que j'ouvrais ma porte, je me demandais ce qui la rendait nerveuse. Parce que tout dans son attitude, ses regards en coin et sa démarche précipitée, me soufflait qu'elle était nerveuse. Quoi qu'il en soit, je l'ai installée dans le salon et tandis que je rangeais son manteau, je lui proposais un verre qu'elle a refusé poliment. "J'ai crains un moment  que vous n'arriveriez plus tard.
- C'est très gentil à vous de vous soucier de moi ainsi, mais je sais traverser la rue tout seul depuis longtemps." Ma blague est complètement tomber à plat devant son air grave. "Que se passe t-il donc ? Et comment avez-vous trouvé mon adresse ?
- Je vous explique tout ça dès que vous m'aurez fait une faveur.
- Je vous écoute." Plus pour me donner une contenance que par réel besoin, je me suis servi un verre de whisky. "Pourriez-vous me redire les noms des victimes ?
- Euh oui, bien sûr… Albert Sénéchal, Eugénie Lafosse, Laura Flamant (mon coeur s'est déchiré au souvenir de la photo que Palanti m'avait montré) et Marie-Louise Romescheck. Pourquoi?" Tout en récapitulant sur ses doigts, elle répétait ces quatre noms à voix basse, totalement absorbée par ses pensées. Je profitais du moment pour la détailler du regard. Son look gothique lui allait bien, ses vêtements noirs, bien ajustés sur sa silhouette mince et énergique, ne lui donnaient pas l'air d'un croque-mort, n'en déplaise à certaine personne. Par-dessous un long gilet de velours et de dentelles noirs, elle portait une délicate chemise en soie bleu nuit qui rehaussait son teint de porcelaine. Ses longues jambes étaient gainées dans de splendides bottes de cuir noir. J'en étais là de mes pensées lorsque mon regard a croisé le sien. Bien qu'il ait été voilé par ces indétrônables lunettes noires, je le sentais amusé. Sans pouvoir m'en empêcher, je piquais un fard, comme un gamin."Alors ?" J'avalais une bonne gorgée d'alcool pour m'éviter de croasser des bêtises. "La première fois que vous me les avez nommé, je n'ai pas fait le rapprochement. Il faut dire aussi que ça remonte à des lustres. Et puis, je ne pensais pas que ce brave Bismarck avait la rancune aussi tenace. Après tout ce temps…
- Excusez-moi d'insister aussi lourdement, mais j'avais cru comprendre que vous comptiez éclairer ma lanterne…
- Exact. Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas comment j'ai pu laisser passer ça…" Je toussotais afin de recentrer la conversation. Ma curiosité avait été suffisamment aiguillonnée, maintenant, elle réclamait son dû.


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Chapitre 8


J'ignore combien de temps a duré le récit de Nicole Pavalli. Probablement toute la nuit. Je vais essayer de vous le transcrire aussi fidèlement que possible, bien que je sois impuissant à vous rendre la voix mélodieuse de la jeune femme, teintée d'un lointain accent italien. Tandis qu'elle me contait son incroyable histoire, les volutes de mes cigarettes s'unissaient aux senteurs fleuries de son parfum. "Cher Rémi, je vous dois un aveu : Nicole Pavalli n'est pas mon vrai nom. Je m'appelle en réalité Nicole Bianca di Médicis. Je ne porte le nom de Pavalli que depuis une cinquantaine d'années…

-Vous devez avoir une bonne raison pour avoir changé de nom…" Alors la fin de sa phrase a rattrapé mon cerveau. "Quoi ? Cinquante ans ? Mais que … ?" Malgré moi, j'ai bondi hors de mon fauteuil. Je me plaquais contre le mur le plus proche et dans le mouvement brusque j'heurtais douloureusement le coin de la table basse posée entre nous. Je la dévisageais, interdit. Se moquait-elle de moi ? Son visage était parfaitement sérieux tandis qu'elle me regardait depuis le fauteuil. Elle n'avait pas bougé d'un iota. "Revenez vous asseoir, Rémi. Je ne vous veux aucun mal. Vous n'avez rien à craindre de moi." Sa voix douce et chaleureuse a fini par me rassurer. J'ai repris place et attendu la suite du récit. Je m'allumais une cigarette pour faire bonne mesure. "Je vous écoute.
- Merci. Donc je vous disais que je m'appelais Nicole Bianca di Médicis. En fait, je porte le nom de celui à qui je dois d'être en vie, Ricardo di Médicis. De ma vie d'avant ma rencontre avec lui, je n'en ai que peu de souvenirs. Et de toute façon, ce ne sont que de mauvais souvenirs…
- C'était votre père ?
- Pas du tout. Ricardo di Médicis m'a trouvée alors que j'étais à moitié morte de faim et malade. Ma mère est morte alors que je n'avais que cinq ans. Je n'ai jamais connu mon père et pour autant que je sache, il ne s'est jamais préoccupé de savoir si j'existais ou si j'allais bien. Tout ce dont je me souviens de ma mère, c'est qu'elle s'appelait aussi Nicole. En ce temps là, la vie était dure. Et l'orphelinat pire que la rue.
- Je comprends…
- Non, je ne crois pas. Mais c'est gentil de le dire quand même." Lentement, elle a ôté ses lunettes. Ses yeux luisaient dans la pénombre. Pour dissiper l'effet hypnotique de son regard argenté, j'ai tendu la main et allumé la lampe. "Comprenez Rémi qu'à cette époque lointaine, l'orphelinat était loin d'être ce lieu d'amour et de chaleur qu'il est devenu au fil des siècles. Ce n'était pas un lieu recommandable où mettre un enfant. Souvent dirigé par des institutions religieuses, les orphelinats étaient un endroit terrible. Les enfants étaient soumis à une discipline de fer. Celui dans lequel j'avais été abandonnée après le décès de ma mère, encore meurtrie par la mort de mon unique point de repère dans la vie, les yeux ruisselants de larmes, était dirigé par des carmélites." Tandis qu'elle évoquait pour moi son passé, son regard fixait un coin du mur derrière moi, totalement perdu dans cette fresque qu'elle déroulait. Je ne comprenais pas pourquoi elle me racontait ainsi sa vie, mais j'étais disposé à l'écouter jusqu'au bout. "Lorsque j'ai rencontré ce cher Ricardo, j'avais huit ans. Je m'étais échappée de l'orphelinat où j'avais été parquée moins d'un an après mon arrivée. Les s--urs nous tenaient toutes pour des enfants du péché et à ce titre nous le faisait payer cher. La discipline, sensée nous fortifier l'âme et le corps, n'était en fait qu'un prétexte pour laisser libre court à leur colère et à leur frustration. Imaginez des petites filles, pauvrement vêtues, réveillées tous les matins à l'aube pour se rendre, en file indienne, à la chapelle de l'orphelinat." Malgré moi, sa voix m'entraînait dans cette peinture vivante. Je les voyais, ces fillettes, marchant en rang, ensommeillées et hisurtes dans la nuit. Qu'étaient devenues les autres fillettes ? Toutefois, sans que je puisse mettre le doigt dessus, un détail me gênait. Trop intéressé par son histoire, je laissais tomber et écoutait avidement la suite. "Je me souviens que nous devions nous agenouiller sur le sol glacial et dallé afin de prier Dieu pour le salut de nos âmes. Puis, au bout d'une heure, on nous autorisait à nous recoucher quelques heures. Nous devions aussi aider à l'intendance de l'orphelinat, non pas pour faire de nous de futures épouses accomplies – car qui aurait pris une épouse sans famille, donc sans dot, sans réputation ? – mais pour nous former à devenir des domestiques serviles et efficaces.
- Je vous plains… Et personne ne disait rien ?
- Que voulez vous que quelqu'un fasse ? Et qui ? C'était ainsi que l'on traitait les orphelines à cette époque ! J'imagine que les garçons recevaient un minimum d'instruction, mais certainement pas les filles ! Qu'auraient-elles fait de la lecture ? C'était normal de penser ainsi alors. Ça n'avait rien de choquant." Son regard était posé sur moi et elle riait doucement de mon ébahissement. "Je vous dois quelque éclaircissement. Cette époque lointaine dont je vous parle est celle que l'on appelle Renaissance. J'avais cinq ans en 1548 et je suis née dans une petite ville italienne, à quelques kilomètres de Florence…" Dire que j'étais abasourdi aurait été très loin de la vérité. Une partie de moi pensait encore qu'elle se moquait de ma pomme et une autre, la voix de la raison, était sûre et certaine qu'elle ne me mentait pas. Ce qui était loin de me rassurer. Car alors ça signifiait que je discutais avec une personne qui avait un peu plus de 450 ans !
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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 13:57
Chapitre 2

Au bout d'un moment, je me forçais à ne plus y penser. Ma vie avait repris son cours normal, partagée entre l'affaire de meurtre qui ne cessait de se compliquer à loisir, et ma vie personnelle que j'essayais de préserver autant que possible des horreurs qui rodent.
Plusieurs fois, j'avais demandé à Laura de partager mon appartement. Après tout, nous deux, cela faisait presque trois ans. Et à chaque fois, elle me disait que, pour l'instant, elle ne se sentait pas prête à vivre avec un homme. Son appartement était à un quart d'heure en voiture du mien. Elle tenait à son indépendance et je respectais son choix. Elle était institutrice dans une école primaire et son travail ressemblait plus à une passion qu'à un métier. Ses "marmousets", comme elle les appelait, avaient entre sept et huit ans.
Ce soir là, elle avait pris le métro pour rentrer chez elle. Son auto était parquée chez le garagiste depuis la veille. Elle tenait à rentrer chez elle, car elle accompagnait sa classe en sortie pédagogique le lendemain. Elle avait gentiment repoussé ma tentative de l'escorter jusqu'à son appartement, au nom de son indépendance. Ce soir là, je ne voulais pas la laisser partir seule. L'intuition peut-être.
Le lendemain, j'ai reçu un désagréable coup de fil d'un collègue, visiblement embarrassé. "Rémi Dumarchant ? Bonjour. Ici l'inspecteur Morris. Police Judiciaire. Vous pouvez venir au poste s'il vous plait ?" Il était largement trop tôt, même pour un fou de travail comme l'est mon chef. J'ai foncé jusqu'au poste, un sale n--ud à l'estomac. Il ne s'est pas arrangé devant la mine déconfite de mes collègues. André Morris m'attendait et m'a conduit sans un mot jusqu'au bureau du commissaire Palanti.
Ce dernier m'a serré la main et m'a fait asseoir. Après avoir longuement trituré ses moustaches, il s'est décidé à lâcher le morceau. "Connaissez-vous une certaine Laura Flamant ?" Le ton qu'il avait employé ne présageait rien de bon. "Oui. Pourquoi ? Que se passe t-il ?
- Rémi, Je crains qu'il ne soit arrivé un malheur.
- Pourquoi ? Qu'est-il arrivé à Laura ?" J'étais submergé par une vague de peur. Laura. Avait-elle eu un accident ? Dans ce cas, c'est l'hôpital qui m'aurait averti, pas la police.
" Allez vous m'expliquer la raison de tous ces mystères ? Où est Laura ?
- Rémi, quelles sont vos relations avec Melle Flamant ?
- C'est ma fiancée, si vous voulez tout savoir. Pourquoi ?
- Elle ne vivait pas avec vous ?
- Non… Que… Vivait ?" Mes deux collègues ont regardé un long moment le lino grisâtre du bureau. Mon c--ur s'est soudain alarmé. "Qu'est-il arrivé à Laura ?
- Rémi, votre fiancée, Melle Flamant, a été retrouvée morte tôt ce matin. A moins de 100 mètres de chez elle, si on en croit ses papiers. Je suis désolé." Un silence de plomb a accueilli cette déclaration. Un monde s'écroulait autour de moi. Je passais un long moment plongé dans une torpeur sans fond. "Recevez de notre part à tous nos plus sincères condoléances" Je hochais la tête, trop malheureux, trop hébété pour pouvoir parler. Les paroles de l'inspecteur me parvenaient comme au travers d'un filtre."Rémi ? Vous m'écoutez ?
- Excusez-moi, chef. Vous dîtes ?
- Voulez vous quelques jours de repos pour vous remettre ?
- Pardon ? Non, je vous remercie. Puis je vous demander si ça a voir avec notre affaire ?
- J'ai bien peur que oui. D'ailleurs, comme vous êtes désormais impliqué personnellement dans l'affaire en question, je devrais vous suspendre.
- S'il vous plait, non. Ne me laissez pas en arrière à ronger mon frein. Je deviendrais fou sinon.
-Je comprends votre douleur, Rémi." Après m'avoir assuré qu'il réfléchirait à ma situation avant de décidé si je pouvais ou non poursuivre l'enquête, il me parla de l'endroit où on avait retrouvé le corps de ma douce Laura. Près d'un fleuriste à quelques mètres de son appartement. Tout comme les deux autres victimes, elle n'avait pas lutté. Son corps avait été également retrouvé exsangue Aucune des trois victimes n'avait été dépouillée, même après leur mort.
J'insistais tant et si bien que l'inspecteur a consenti à me montrer les photos prises lors de la découverte du corps de ma tendre Laura. Elle semblait dormir. Elle fronçait les sourcils, comme sous l'effet d'une contrariété ou d'un rêve pénible. Ses longs cheveux blonds étaient décoiffés et une de ses boucles d'oreilles avait été arrachée du lobe auquel elle avait été fixée. Un détail a attiré mon attention : deux petits points bleus marquaient son cou. "Comme ces pauvres Sénéchal et Lafosse, pas vrai?" Tout en parlant, je désignais les marques. "Malheureusement, oui, inspecteur. Tout ce que nous savons, c'est que les deux autres personnes dont nous vous avons parlé ont, elles aussi, des marques similaires."



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Chapitre 3

Pendant des semaines, j'ai dû composer avec l'impression d'agir et de penser au ralenti. Tous les matins, l'atroce réalité me tombait sur les épaules comme une chape de plomb : Laura était morte. Elle aurait fêté ses 32 ans le mois prochain. Je lui avais acheté son cadeau en avance. Qu'allais-je en faire à présent ? J'avais déniché ce pendentif dans une petite boutique du centre. Et pour la première fois depuis sa disparition, j'ai fondu en larmes. Assis sur le lit, je tenais ce stupide bijou, les épaules secouées par mes sanglots.
L'organisation de l'enterrement a été pénible. Mes journées se répartissaient entre la visite aux pompes funèbres pour régler encore et encore les détails techniques et les appels sans fin aux diverses personnes concernées par ce drame : l'école où ma tendre Laura travaillait. Le commissaire m'avait largement forcé la main pour que je prenne quelques jours de congé exceptionnel, me promettant de me tenir informé de toutes nouvelles pistes. Mais vu comme on pataugeait lamentablement depuis le début de ce gâchis, je me faisais pas beaucoup d'illusions. . Je l'ai mis à profit pour prévenir ses amis, sa famille, nos amis communs. Heureusement, Daniel, le frère aîné de Laura était venu m'épauler. Lui annoncer la nouvelle n'a pas été facile. Un grand silence a retenti à l'autre bout du fil. Daniel vivait dans la capitale où il était médecin. Deux jours après mon appel, il était à la maison. Ce soir là, il nous était impossible de rien faire d'autre que discuter. Ensemble, nous avons fait notre deuil en évoquant, jusqu'à une heure avancée de la nuit, notre bien aimée Laura. Nous avons partagé anecdotes et souvenirs autour de plusieurs verres de whisky.
Le jour même de son enterrement, j'avais le sentiment que mes poumons refusaient de fonctionner correctement. Daniel avait tenu à une messe pour le repos de l'âme de sa s--ur et bien que je ne sois pas croyant, je n'ai pas eu le c--ur de la lui refuser. Après tout, sa mort avait été suffisamment atroce pour que son âme ait besoin que l'on prie pour elle. Bien sûr les collègues de Laura étaient venus, ainsi que de nombreux parents d'élèves. Chacun avait apporté des fleurs et l'église embaumait. Alors que les porteurs sortaient le cercueil de l'église, j'ai aperçu dehors une silhouette vêtue de noir qui attendait à l'écart. On était en octobre et en dépit du temps menaçant, des badaux étaient massés devant l'église. Ces morts aussi horribles que mystérieuses avaient aiguisé la faim de sensationnel qui couve en chacun de nous. Mais une personne se tenait en retrait de ces gens. Comme je le disais, elle n'était qu'une silhouette noire, mais cette femme portait des lunettes de soleil en plein mois d'octobre. Elle regardait le cortège passer, la tête droite. Elle était vêtue de noir de pied en cap et son long manteau claquait au vent. Interdit, je m'arrêtais pour mieux l'observer. "Un problème, Rémi ?
- Non, tout va bien. C'est juste que … C'est rien, laisse tomber." En regardant à nouveau, je constatais que la femme avait disparu. Sa silhouette m'était vaguement familière, mais je ne parvenais pas à me rappeler où je l'avais croisé auparavant. Pendant le trajet jusqu'au cimetière, je réfléchissais à cette femme. Jusqu'au moment où je me suis senti idiot. Ce n'est pas vers cette inconnue que mes pensées devraient aller, mais vers Laura que je ne reverrais plus jamais !
L'enterrement était digne d'elle. Son frère a prononcé quelques mots pour le repos de son âme et j'ai tenu moi aussi à dire quelque chose. Je ne suis pas grand orateur, mais j'étais sincère. Lorsque la terre s'est refermée sur elle, je détournais les yeux, incapable de le supporter. Mon attention a été attirée par une femme en noir qui se tenait en retrait sous un if. Elle était simplement appuyée sur l'arbre, et observait la scène depuis l'abri de ses lunettes de soleil. Dès que j'ai pu me libérer de mes obligations de remerciements, je me suis avancé vers elle. Je pensais qu'elle aurait filé le temps que la dernière main soit serrée et les derniers mercis adressés. Mais non. Elle était restée bien patiemment sous son arbre, attendant mon arrivée.



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Chapitre 4

Je l'ai reconnu sitôt que je me suis approché suffisamment. Aucun doute n'était permis : cette femme était bien celle que j'avais percutée moins d'un mois auparavant. Celle qui avait bondi sur le toit de la rue Aristote juste sous mon nez. "Bonjour. Que faîtes-vous ici ?
- Bonjour à vous. Je suis désolée pour votre amie.
- Vous la connaissiez ?" Elle a secoué la tête. Le vent m'a apporté son parfum, un parfum de lilas et une autre senteur que je n'ai pu identifier. "Vous allez mieux depuis notre dernière rencontre ?" Ma question l'a fait sourire. "Ainsi, vous vous souvenez de moi ?
- Disons qu'une telle rencontre est difficile à oublier.
- Oui, je vais bien. Et vous ? … Pardon." Le silence s'est installé entre nous un moment, jusqu'à ce que je décide de le rompre. "Que faites-vous ici ?
- Vous êtes direct. Je suis venue assister aux funérailles d'une personne qui n'aurait pas dû mourir." Sa voix était mélodieuse, même si elle parlait doucement. Elle était emplie de regrets aussi. Je me demandais confusément pourquoi. Ses lunettes m'intriguaient, je l'avoue. Si elle avait connu Laura, j'aurais pu prendre ça pour une marque de deuil. Mais elle venait de m'assurer du contraire. " Où en est l'enquête ? " Sa question m'a surpris. Comment était-elle au courant ? Les journaux, sans doute, vu que la presse s'était emparée de cette affaire. "On n'avance pas aussi vite qu'on le souhaiterait.
- Je ne pense pas que vous trouviez un jour le fin mot de cette histoire.
- Vous ne voulez pas que la vérité soit découverte ?" Mon ton était empreint d'agressivité, sans que je ne puisse rien faire pour m'en empêcher. J'étais à cran depuis quelques jours. "Bien sûr que si. Mais vous n'y arriverez pas. Même avec la meilleure volonté du monde.
- Je ne vous permets pas de douter de notre compétence". Je l'observais un moment en silence. Qui était-elle ? D'où venait-elle ? Comme si elle lisait dans mes pensées, elle m'a tendu la main en se présentant : Nicole Pavalli. Sa main était pâle et fraîche. " Comment avez-vous survécu au choc de l'accident ? " Ma question avait bondi hors de ma bouche avant que j'aie réalisé quoi que ce soit. Elle m'a regardé un moment en silence, puis ses lèvres se sont étirées en un fin sourire moqueur. " Vous ne perdez pas le nord, vous. Eh bien, disons que j'ai eu de la chance" D'autres questions auraient sans doute fusé, mais mon instinct m'a soufflé d'abandonner le sujet.
Alors qu'elle quittait l'abri de l'if, je me suis surpris à la suivre. Si on m'avait posé la question, j'aurais bien été en peine d'expliquer pourquoi. Toutefois, elle n'a pas semblé être gênée par ma présence. Tandis que nous approchions de la sortie du cimetière, je réalisais soudain que l'on devait m'attendre. Le poids de mon deuil m'est alors retombé sur les épaules. Elle s'en est rendue compte et s'est arrêtée à quelques pas de la grille. "Rejoignez les vôtres, Rémi. Je suis vraiment désolée pour vous. A bientôt." Là-dessus, elle s'est dirigée vers la clôture sans se retourner. Je la regardais s'éloigner, accablé de douleur et l'esprit en feu.
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23 février 2010 2 23 /02 /février /2010 14:45
Chapitre 1  
Ce matin là, j'étais en retard. J'avais fêté l'anniversaire d'un ami et je m'étais couché à peine quelques heures plus tôt. Et comme d'habitude, mon réveil avait retenti à six heures pétantes. Mais sans moi, vu que je m'étais rendormi sitôt après l'avoir éteint. Pour bondir hors du lit une heure plus tard, catastrophé... Après avoir avalé fissa un verre du jus d'orange, je suis sorti et j'ai couru vers ma voiture. En retard, mon chef allait me passer un savon carabiné. Bon sang !
Les rues de la ville n'étaient pas encore trop encombrées, aussi en profitais-je pour appuyer sur le champignon. Avec un peu de chance, les collègues m'épargneraient la honte d'une prune.
Les yeux collés sur la pendule du tableau de bord, je décidais de prendre un raccourci. L'avantage de travailler dans sa ville natale, c'est qu'on la connaît comme sa poche. Du moins, c'est ce que je pensais jusqu'à ce jour. Le feu à 100 mètres devant moi venait de passer au vert. Je profitais de l'aubaine et accélérais. Soudain, une ombre a surgi de nulle part. Incapable de l'éviter, je la percutais de plein fouet.
Sur le moment, je n'ai vu qu'un long manteau noir rebondir contre ma voiture. Je venais de percuter quelqu'un à 80 km/h ! Je pilais en un long crissement de pneus. Les jambes tremblantes, je suis sorti de la voiture et marchais vers le corps immobile. Comme je l'avais projeté à une belle distance, je ne tablais pas vraiment sur des blessures, mais sur bien pire. J'étais déjà bien secoué, vous pensez bien. Mon portable dans ma main tremblante, je marchais vers la personne. C'est alors que, sous mes yeux stupéfiés, elle se relevait. Car c'était une femme. Elle s'est redressée et m'a regardé en souriant. La seule chose qui m'a frappé chez elle, c'était ses yeux. Ils ressemblaient à deux pièces en argent, luisant au-dessous d'une chevelure aussi noire que du jais. Coupés courts, ils encadraient un visage pâle. Je bafouillais des excuses comme "Désolé de vous avoir écrasé", mais elle m'écoutait à peine. Elle semblait chercher quelque chose ou quelqu'un. Puis elle m'a regardé, visiblement inquiète. "Tout va bien ?". Incapable de quitter son regard, je hochais la tête. "Parfait. Bonne journée". Là-dessus, elle a bondi sur le toit, avec une agilité qui m'a cloué sur place.
J'ai dû rester dans cette rue au moins dix minutes après son départ. Le portable toujours à la main, je me demandais si je n'avais pas rêvé. Puis la sonnerie du téléphone a retenti. Mon chef tenait à me rappeler d'une voix peu aimable qu'il ne me payait pas pour faire la grasse matinée.
En arrivant au bureau, j'ai dû essuyer la colère de mon supérieur. J'étais tellement sous le choc que je n'ai pas osé lui expliquer ce qui m'avait retenu aussi longtemps sur la route. Cependant, tout au fond de moi, je repensais à ce curieux accident. Le choc aurait dû la tuer. Ou du moins la blesser. Mais rien. Pas même une égratignure. Elle s'était remise sur ses pieds comme si elle avait juste trébuché en voulant monter sur le trottoir.
Mais soyons franc, ce qui ne cessait de me revenir en mémoire, c'était les yeux de cette femme. Jamais je n'en avais vu de semblables de ma vie. Ils luisaient dans la pénombre matinale, j'en aurais juré. Leur couleur, inhabituelle, était celle de l'argent. Aucune lumière, aucun reflet n'aurait pu leur donner cette teinte.
Quant à savoir qui elle était, ou ce qu'elle faisait dans cette rue à cette heure matinale… Mystère. Mais le plus grand mystère, c'était de savoir d'où elle venait. Je ne l'avais pas vu sortir d'une des maisons qui longent le trottoir et elle ne venait pas d'en face non plus. Elle était "simplement" apparue sur mon pare-brise. Donc….
J'y ai réfléchi pendant des jours, comme hanté par l'événement. Moi qui avais déjà largement de quoi m'occuper avec l'affaire de meurtres sur laquelle on travaillait depuis des jours, je n'avais pas besoin d'avoir ça en tête en plus. Enfin, pour être tout à fait honnête, on piétinait joyeusement dans cette affaire, car rien ne ressemblait à quelque chose de normal. Pas moyen de comprendre les mobiles du meurtrier, ni même son modus operandi. Le noir total.
Je dois avouer être revenu plusieurs fois dans cette fameuse rue, de jour comme de nuit. Je ne sais pas ce que j'espérais trouver, mais je n'ai vu aucune trace de l'accident : pas de traces de sang, rien. Je n'osais en parler à personne, peut-être par peur du ridicule. Mais surtout, parce que je sentais confusément que raconter cet événement ne serait pas une bonne idée.
Lors de mes soirées avec Laura, j'ai failli plusieurs fois lui en parler. Et ce qui m'en a empêché à chaque fois, c'est le souvenir de deux pièces d'argent brillantes.

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